Sur une mise en scène synesthésique signée Julien Bouffier, la quatrième édition du festival SPOT se clôture avec une indéniable pépite. Dans Le quatrième mur, Samuel, homme de théâtre gravement atteint d’un cancer, demande à son amie de monter à sa place l’Antigone d’Anouilh à Beyrouth avec des comédiens libanais, toutes confessions confondues. Projet pernicieux pour chacun des membres, cette parenthèse utopique ne parvient pas à dépasser la réalité de la guerre : la représentation n’aura jamais lieu. Julien Bouffier adapte ici le récit de Sorj Chalandon, ancien reporter pour Libération, fortement marqué par l’état des camps de réfugiés libanais de Sabra et Chatila après le massacre de septembre 82, et c’est ce traumatisme que la pièce tend à rendre palpable.
Véritable bouillonnement syncrétique entre les arts, le spectateur ne sait plus où donner de la tête, de l’ouïe, du regard. Le dispositif scénique est un système immersif composé de deux écrans de cinéma interposés par la scène, au travers desquels les comédiennes apparaissent comme des ombres évanescentes. Une avalanche de visuels qui s’enchevêtrent et se surimpriment, on voit défiler des images du Beyrouth d’aujourd’hui et c’est à nous d’y retrouver les cicatrices du passé. Les comédien.ne.s libanais à l’image sont si poignants qu’on aimerait les voir en chair et en os sur le plateau. Julien Bouffier a en partie répondu à notre appel, en conviant l’une d’entre eux sur scène, Diamand Abou Abboud, qui incarne son rôle avec une justesse et une sensibilité implacables, à même d’arracher quelques larmes aux plus réticent.e.s d’entre nous. Au cœur de ces paysages urbains ondoyants, le comédien Alex Jacob, muni d’une guitare électrique et d’un micro, vient accompagner tel un barde moderne les différents épisodes de l’action. La rage est tangible dans sa voix, on sent la déchirure de la guerre se profiler derrière sa reprise de The Sound of Silence de Simon & Garfunkel. L’art plastique est aussi de la partie, une pluie de néons blancs jaillit des échafaudages comme une éruption de fusées éclairantes avec un travail de plasticien à faire pâlir l’artiste contemporain François Morellet.
© Marc Ginot
Le contexte politique brûlant de la guerre civile et le texte d’Anouilh s’interpénètrent de façon naturelle et quasi inaperçue, le quatrième mur devient la ligne de séparation entre le Beyrouth Est et Ouest, et la metteuse en scène interprétée par Vanessa Liautey devient elle-même Antigone à la fin de la pièce… La jeune comédienne, Nina Bouffier, du haut de sa douzaine d’années, ne semble pas du tout impressionnable avec son énergie débordante et apporte un véritable souffle de vie sur le plateau. Seul bémol du spectacle – si tenté qu’il faille trouver à y redire quelque chose-, serait que la mise en scène prend le pas sur la trame narrative, laquelle demeure en fin de compte assez hermétique. La tension a beau monter graduellement, que ce soit avec le souffle haletant et saccadé de Vanessa Liautey ou avec les lumières névrotiques et convulsives des projecteurs, cette dernière retombe en plein élan. La description de l’horreur est mise à distance avec une voix-off, idée astucieuse montrant qu’on sort du récit dramatique pour pénétrer dans le témoignage de faits réels, mais qui freine notre engagement émotionnel. Le jeu de Vanessa Liautey, distant voire impassible dans l’ensemble, a de quoi laisser perplexe pour un rôle si capital. La sensation de malaise est pourtant là, ne serait-ce que dans cette scène pentue où les comédiens s’efforcent de tenir en équilibre. Ce léger manque d’ardeur dans l’action est considérablement pallié voire excusé compte de tenu du travail global sur la mise en scène au carrefour entre théâtre, musique, cinéma et installation et des performances des autres comédien.ne.s.
Le retour à la réalité est difficile. Un silence de recueillement s’impose avant de laisser place à tonnerre d’applaudissements. Une pièce qui ébranle notre petit confort et notre quotidien édulcoré, et qui réactive notre mémoire vers cette plaie toujours ouverte au Moyen-Orient. Quel est le rôle du théâtre face à la barbarie humaine ? Peut-on vraiment « jouer » à la paix sur un plateau ?
Informations pratiques
Auteur(s)
d’après Sorj Chalandon
Adaptation et Mise en scène
Julien Bouffier
Avec
Diamand Abou Abboud, Nina Bouffier, Alex Jacob, Vanessa Liautey à l’image Joyce Abou Jaoude, Yara Bou Nassar, Mhamad Hjeij, Raymond Hosni, Elie Youssef, Joseph Zeitouny
voix Stéphane Schoukroun
Dates
Du 29 au 30 septembre 2017
Durée
1h30
Adresse
Théâtre Paris-Villette
211 avenue Jean-Jaurès
75019 Paris
http://www.theatre-paris-villette.fr