« Reality », de et mis en scène par Daria Deflorian et Antonio Tagliarini

Article de Jeanne de Bascher
Une heure dans la vie d’une femme

Après « Ce ne andiamo per non altre preoccupazioni », le duo d’acteurs Daria Deflorian et Antonio Tagliarini continuent leur exploration du monde contemporain. A partir du documentaire de Marius Szczygiel, ils mettent en scène et interrogent la notion de réalité dans une pièce éponyme, « Reality ».

reality_2_elisabeth_carrechio© Elisabeth Carrechio

Daria Deflorian et Antonio Tagliarini se replongent dans les 748 carnets de Janina Turek, écrits entre 1950 et 2000. 50 ans de minutieuses notes précisant le nombre de coups de téléphone passés, de déjeuners entamés, d’émissions télévisées regardées etc…éffrayants dossiers comptables, gardés secrètement à l’abri de tous et découverts par sa fille, stupéfaite, à la mort de sa mère. Qui est Janina Turek ? Une femme au foyer polonaise, totalement inconnue et banale. Pour reprendre le terme sociologique, c’est un individu, ce n’est personne et tout le monde à la fois. Daria Deflorian et Antonio Tagliarini, intrigués par la démarche anthropologique de ces écrits, s’intéressent à ce que l’on ne sait pas de cette héroïne ordinaire. Ils piochent dans les carnets et rejouent des scènes quotidiennes telles qu’ils se les imaginent. De ces fragments de vie ils donnent leur vision de la réalité.
Est-ce un reality show ? La question n’est jamais posée mais plane au-dessus du spectacle. Les dialogues, généralement des questions, invitent le spectateur à s’interroger. Qu’est-ce que la réalité ? Comment la représenter au théâtre ? Où s’arrête la curiosité et où commence le voyeurisme ? Que penser de nos sociétés contemporaines, avides de transformer les gens ordinaires en célébrités ? Dans « Reality », Janina Turek n’est pas célèbre mais célébrée, elle a son quart d’heure de gloire warholien.
La pièce débute par un drôle de jeu d’acteurs. Chacun essaye à son tour de mimer la crise cardiaque de Janina Turek, survenue en pleine rue. Par une habile mise en abîme, les acteurs s’entraînent à jouer et échouent à être crédibles, à avoir l’air réels. Beaucoup d’humour et de parodie dans une première partie engageante, qui s’essouffle malheureusement ensuite. Le spectateur a en effet du mal à trouver sa place devant un duo fermé qui s’interroge sur le passé d’une femme anonyme. Que dire de cette desperate housewife étudiée sous toutes les coutures ?

reality_1_elisabeth_carrechio© Elisabeth Carrechio

Daria Deflorian et Antonio Tagliarini se mettent en scène dans un décor très épuré. Un choix visant à mettre leur jeu d’acteur en valeur et à coller au plus près d’une vérité qu’ils essayent de défendre. Aucun artifice, peu d’effet de lumière, des dialogues surtitrés, le rendu se veut pauvre et sincère. S’en dégage une certaine sensibilité grâce à la qualité des interprétations (Daria Deflorian a d’ailleurs reçu le Prix Ubu pour ce rôle). Néanmoins, le parti-pris d’une sobriété exacerbée reste à double tranchant. Le rendu scénique manque de dynamisme et de sensation. Le spectateur n’adhère pas forcément.
« Reality » est une pièce sensible et touchante, interprétée avec justesse par deux bons acteurs. L’occasion de découvrir les qualités du théâtre italien contemporain.

« Reality »
de Daria Deflorian et Antonio Tagliarini.
mise en scène de Daria Deflorian et Antonio Tagliarini.
collaboration au projet Monica Piseddu et Valentino Villa
avec Daria Deflorian et Antonio Tagliarini.
lumière Gianni Staropoli
décor Marina Haas
du 30 septembre au 11 octobre 2015

Théâtre de la colline
15 rue Malte-brun
75020 Paris
www.colline.fr