Frédéric Roels, directeur de l’Opéra Grand Avignon et metteur en scène de l’opéra Three Lunar Seas
© Studio Delestrade Avignon
Théâtre Actu vous entraîne dans les coulisses de la création mondiale de l’opéra Three Lunar Seas, à l’Opéra Grand Avignon les 5 et 7 mai prochains. Aujourd’hui, focus sur les enjeux de sa mise en scène avec Frédéric Roels :
Hugo Valat : Comment est née la collaboration avec la compositrice, Joséphine Stephenson ?
Frédéric Roels : J’avais découvert le travail de Joséphine il y a déjà un certain nombre d’années. Elle avait composé la musique d’un opéra qui s’intitulait Les Constellations, une théorie, créé avec l’Ensemble Miroirs Étendus, à Dunkerque. J’avais vraiment trouvé la musique intéressante : c’était une écriture contemporaine très travaillée, avec une bonne connaissance et maîtrise de la voix, tout en ayant un rapport aux musiques actuelles bien intégré dans l’écriture.
J’ai continué de suivre son travail, notamment son opéra Narcisse composé en 2019, et quand je suis arrivé à la direction de l’Opéra Grand Avignon j’avais envie d’y accueillir une résidence de composition et j’ai pensé à elle. Je lui ai proposé d’être en résidence pour deux ans, avec plusieurs étapes de travail jusqu’à la composition d’un opéra grand format, qui devait en être l’aboutissement.
Hugo Valat : D’où est partie l’idée du sujet de Three Lunar Seas ?
Frédéric Roels : Au départ, nous avons discuté du sujet de l’opéra et je lui ai dit que c’était assez ouvert mais que le thème de la saison 2022/2023 était la Lune. Elle a immédiatement fait sien le sujet avec le librettiste Ben Osborn. Ils ont eu l’idée de trois histoires de notre époque contemporaine reliées à la symbolique de la Lune et à trois mers lunaires, et de ce qu’elles pouvaient évoquer dans notre imaginaire collectif.
Hugo Valat : Quel a été votre regard de metteur en scène sur cet opéra ?
Frédéric Roels : Three Lunar Seas est une œuvre à la narration très particulière, non linéaire. Assez vite, nous nous sommes dit qu’il fallait éviter un effet de collage de trois histoires entre elles sans qu’elles aient un lien. Nous sommes partis sur l’idée d’un décor unifié où les espaces ne seraient pas forcément différenciés les uns des autres et où nous travaillerions ainsi dans un espace commun. De plus, très peu de transitions musicales permettent de passer d’un univers à l’autre dans cet opéra : il s’agit de trouver à chaque fois le moyen de passer d’une histoire à l’autre sans que cela fasse hiatus. J’ai également rajouté la présence d’un enfant dans la mise en scène, traversant les histoires, clin d’œil aux générations futures et au devenir du monde.
Hugo Valat : Au regard de votre parcours et de votre expérience de metteur en scène d’opéra, abordez-vous différemment le travail sur une œuvre contemporaine par rapport à une œuvre du répertoire plus classique ?
Frédéric Roels : De mon point de vue de metteur en scène, il n’y a pas forcément un parti pris qui sera différent. J’approche l’œuvre comme elle est et avec ma sensibilité : je me demande comment elle résonne par rapport à ma sensibilité, mon rapport au monde et le public auquel je m’adresse, et j’essaye de trouver la meilleure manière de travailler par rapport à ça. Ce qui est très différent, c’est le processus qui amène à la première du spectacle. Quand on travaille sur un opéra du répertoire, on a forcément la musique dans l’oreille puisqu’il en existe déjà des enregistrements et tout est déjà écrit de manière très précise depuis longtemps.
Sur une œuvre contemporaine, le processus se fait beaucoup plus progressivement et on découvre l’œuvre en même temps qu’on la travaille. J’ai commencé la réflexion sur la scénographie avec Dori Deng et celui sur les costumes avec Lionel Lesire alors même que le livret n’était pas finalisé et que nous n’avions pas la musique. Le travail de création est aussi encore plus collectif puisque la compositrice est présente et peut faire des retours par rapport à ses intentions artistiques.
Hugo Valat : Assister à la création mondiale d’un opéra contemporain est un événement assez rare… Selon vous, quelle est la place de l’opéra dans la société aujourd’hui et peut-il avoir quelque chose à dire de notre présent ?
Frédéric Roels : Les œuvre qui s’écrivent aujourd’hui interrogent forcément le monde d’une manière ou d’une autre, mais assez souvent par le biais d’histoires qui sont loin dans le passé. Le cinéma ou le théâtre par exemple sont des arts qui s’emparent beaucoup des questions du monde contemporain. L’opéra le fait beaucoup moins, que l’on pense à Written on Skin de George Benjamin, dont l’action se déroule au Moyen Âge, de même que L’Amour de loin de Kaija Saariaho, ou encore Julie de Philippe Boesmans, qui se passe à la fin du XIXème siècle. Nous sommes donc plutôt encore dans des histoires du passé, à la différence du théâtre ou du cinéma. Il existe quand même des opéras qui parlent du monde d’aujourd’hui : cela reste une tendance plus marginale, mais c’est intéressant de creuser cela.
La difficulté c’est que dans le genre même de l’opéra, il y a par nature une forme de transcendance voire de spiritualité qui émane du langage musical et qui est difficilement compatible avec la question de l’immédiateté et de la proximité du sujet, comme si nous avions besoin de prendre de la distance par rapport au réel et de le surplomber.
La réussite d’une œuvre comme Three Lunar Seas est à mon sens qu’elle nous parle de sujets d’aujourd’hui, mais dans un rapport à la symbolique lunaire qui donne un côté épique, mythologique et éternel, contextualisant l’opéra dans une histoire de l’humanité beaucoup plus large.
Three Lunar Seas, mise en scène Frédéric Roels © Mickaël et Cédric/Studio Delestrade à Avignon
Informations pratiques
THREE LUNAR SEAS – Création mondiale
Auteur(s)
Livret de Ben Osborn, musique de Joséphine Stephenson
Opéra chanté en anglais, surtitré en français
Mise en scène
Frédéric Roels
Direction musicale
Léo Warynski
Distribution
Her Eduarda Melo
She Jess Dandy
The Midwife / The Watchman Anas Seguin
Cynthia Patrizia Ciofi
He Ari Soto
Serena Kate Huggett
Un enfant Timothé Mauras
Scénographie, lumière et vidéo Dori Deng
Costumes Lionel Lesire
Chorégraphie Emilio Calcagno
Assistante à la mise en scène Nathalie Gendrot
Études musicales Philip Richardson
Chœur Chœur de l’Opéra Grand Avignon
Cheffe de chœurs Aurore Marchand
Orchestre national Avignon-Provence
Nouvelle production de l’Opéra Grand Avignon
Dates
Vendredi 5 mai 2023 à 20h
Dimanche 7 mai 2023 à 14h30
Durée
1h30
Adresse
Opéra Grand Avignon
Place de l’Horloge
84000 Avignon
Informations complémentaires
Opéra Grand Avignon
www.operagrandavignon.fr/three-lunar-seas