Rencontre avec Joséphine Stephenson, compositrice de l’opéra « THREE LUNAR SEAS »

Joséphine Stephenson, compositrice de l’opéra Three Lunar Seas © Marika Koschiasvili

Théâtre Actu vous entraîne dans les coulisses de la création mondiale de l’opéra Three Lunar Seas, à l’Opéra Grand Avignon les 5 et 7 mai prochains. Aujourd’hui, retour sur la genèse de cette œuvre avec sa compositrice, Joséphine Stephenson :

Hugo Valat : Dans quelles circonstances avez-vous été amenée à composer Three Lunar Seas ?

Joséphine Stephenson : J’ai rencontré Frédéric Roels en 2016, quand il est venu voir un spectacle pour lequel j’avais écrit la musique : Les Constellations, une théorie, par la Compagnie L’Éventuel Hérisson bleu. Il a été invité en tant que directeur de l’Opéra de Rouen à l’époque, le travail l’a intéressé et nous nous sommes dit que nous resterions en contact…
Quatre ans plus tard, je reçois un mail de lui ! Il m’a appris qu’il était devenu directeur de l’Opéra d’Avignon et qu’il avait l’intention de créer une nouvelle résidence pour jeunes artistes et il me proposait dans la foulée d’être la première compositrice en résidence, ce qui allait notamment impliquer la composition d’un opéra. C’est une invitation à laquelle je ne m’attendais pas… Je travaillais en Angleterre depuis quelques temps déjà et c’était assez touchant et gratifiant que la France, pays que j’avais un peu fui, revienne vers moi !

Hugo Valat : Comment s’est fait le choix du thème de l’opéra que l’on vous proposait ainsi de composer en résidence à l’Opéra Grand Avignon ?

Joséphine Stephenson : Frédéric m’a informé que cette saison aurait pour thème la Lune. C’est un sujet tellement riche qu’il m’a tout de suite inspiré et très vite j’ai su avec qui je voulais collaborer pour le livret : Ben Osborn, avec qui j’avais déjà travaillé dans le passé. Dès que j’ai besoin d’un œil littéraire je fais appel à lui parce que cette rencontre avec Ben a vraiment été un marqueur pour moi. C’est assez rare de trouver des gens à qui on peut faire totalement confiance et dont on admire sans limite le travail et les compétences.
Nous avons fait des recherches sur le thème de la Lune et nous nous aussi sommes demandés ce qui nous manquait à l’opéra aujourd’hui et les sujets dont nous aurions envie de parler. Toutes les associations symboliques possibles avec l’univers lunaire nous sont alors apparues, et surtout l’existence de ces mers aux noms évocateurs : la Mer de la Tranquillité, la Mer de la Fertilité et la Mer de la Sérénité.

Hugo Valat : Comment s’est déroulé le travail de conception du livret et combien de temps a duré la composition de la musique en tant que telle ?

Joséphine Stephenson : La première phase c’était le texte du livret et ensuite j’ai commencé la composition. Nous avons fait beaucoup d’allers-retours à ce moment-là pour adapter le texte, raccourcir ou rallonger certains passages en fonction de la musique. Le travail s’est fait dans l’échange et Ben était très à l’écoute.
Il avait d’abord écrit les trois histoires séparément et ensuite je me suis dit qu’il serait intéressant d’essayer de les faire se mélanger. Ainsi, c’est ensemble que nous avons littéralement découpé les scènes pour reconstituer le texte sous forme de puzzle. J’ai commencé à composer début 2022, et pas forcément en continu car j’avais d’autres projets, c’est à partir de la deuxième moitié de l’année que je me suis vraiment entièrement consacrée à la composition.

Hugo Valat : Quels sont les enjeux particuliers de la composition d’une œuvre aujourd’hui ?

Joséphine Stephenson : Je me suis mise à la place de mes amis qui vont rarement ou jamais à l’opéra et je me suis demandé pourquoi c’était un art encore si cloisonné… L’opéra me semble très en retard par rapport aux autres formes de narration, notamment le cinéma, et il reste très ancré dans la tradition. Quand on regarde le canon des œuvres, jusqu’en 1950, ce ne sont que des opéras composés par des hommes qui ont été montés : ce sont des histoires où en général les personnages principaux sont des hommes, ou si c’est une femme elle meurt ou elle est violée… J’avais envie, en tant que femme, de raconter des histoires autour de personnages féminins, afin d’apporter ma pierre à l’édifice du décloisonnement de cet art.
Je pense que Frédéric a fait appel à moi en sachant que j’ai un pied dans la musique pop et que je suis quelqu’un qui aime beaucoup naviguer entre les genres et toucher un public le plus large possible, sans faire pour autant de compromis sur l’art que je veux produire. C’est par exemple pour ça que j’ai eu envie d’intégrer à la distribution Kate Huggett, qui n’est pas une chanteuse lyrique, et toute la musique autour de son personnage est dans un registre un peu plus pop. Ayant de l’expérience en tant que chanteuse, il me tenait à cœur d’écrire des lignes mélodiques pour que les voix puissent réellement chanter.

Hugo Valat : Quelle place prend la compositrice dans la création à la scène de son opéra et que ressentez-vous en assistant à ce travail ?

Joséphine Stephenson : Il se trouve qu’il y a une bienveillance de la part de toute l’équipe, expérience que je n’avais pas forcément connue par le passé sur d’autres projets. Ainsi, il m’est arrivé de travailler avec des chefs d’orchestre qui s’appropriaient énormément la partition une fois qu’ils l’avaient entre les mains. Ici, Léo, le chef d’orchestre, vérifie avec moi mes intentions de composition, me demande encore mon avis, et Frédéric m’autorise à faire certains commentaires sur des éléments de mise en scène. Même si je n’ai plus besoin d’intervenir, je me sens encore faire partie du processus à ce stade, et c’est très touchant. Mais il y a aussi un moment où il faut savoir lâcher prise sur son travail et laisser les autres membres de l’équipe faire le leur.
C’est une suite d’appréhensions. Il y a celle de la première rencontre avec l’équipe artistique, puis celle de la première rencontre avec l’orchestre, et enfin celle de la rencontre avec le public ! Le soir de la première, je pense que je vais me prendre une petite claque… C’est une émotion assez indéfinissable. On se met à nu, on a tant travaillé, et puis en une heure et demie dans la vie des spectateurs, avant ou après leur dîner, ils seront témoins de ce travail… C’est pour cela que j’essaye de cultiver un certain détachement et de laisser « l’enfant » faire sa vie.

Informations pratiques

THREE LUNAR SEAS – Création mondiale

Auteur(s)
Livret de Ben Osborn, musique de Joséphine Stephenson
Opéra chanté en anglais, surtitré en français

Mise en scène
Frédéric Roels

Direction musicale
Léo Warynski

Distribution
Her Eduarda Melo
She Jess Dandy
The Midwife / The Watchman Anas Seguin
Cynthia Patrizia Ciofi
He Ari Soto
Serena Kate Huggett
Un enfant Timothé Mauras

Scénographie, lumière et vidéo Dori Deng
Costumes Lionel Lesire
Chorégraphie Emilio Calcagno
Assistante à la mise en scène Nathalie Gendrot
Études musicales Philip Richardson

Chœur Chœur de l’Opéra Grand Avignon
Cheffe de chœurs Aurore Marchand
Orchestre national Avignon-Provence
Nouvelle production de l’Opéra Grand Avignon

Dates
Vendredi 5 mai 2023 à 20h
Dimanche 7 mai 2023 à 14h30

Durée
1h30

Adresse
Opéra Grand Avignon
Place de l’Horloge
84000 Avignon

Informations complémentaires
Opéra Grand Avignon
www.operagrandavignon.fr/three-lunar-seas