Rencontre avec Léo Warynski, chef d’orchestre de l’opéra « THREE LUNAR SEAS »

Léo Warynski, chef d’orcherstre de l’opéra Three Lunar Seas © Jérôme Bonnet

Théâtre Actu vous entraîne dans les coulisses de la création mondiale de l’opéra Three Lunar Seas, à l’Opéra Grand Avignon les 5 et 7 mai prochains. Aujourd’hui, nous nous arrêtons sur les enjeux musicaux avec le chef d’orchestre, Léo Warynski :

Hugo Valat : Tout d’abord, au vu de votre parcours et de votre expérience, quelle est la place du chef d’orchestre dans la création d’une œuvre lyrique en général, et d’un opéra contemporain en particulier ?

Léo Warynski : Il y a une place qui est la même pour toute œuvre : on a toujours une relation avec le compositeur par la médiation de la partition. C’est le cas en l’occurrence avec la partition de Joséphine Stephenson. La seule différence, qui est de taille, c’est que là il y a un accès direct au créateur. Donc on peut plus facilement confronter les idées, parce qu’en tant que chef d’orchestre j’ai un devoir de passeur : une sorte de contrat moral avec le compositeur qui passe par sa partition et que je dois respecter. Il s’agit d’essayer de comprendre ce que le créateur a voulu y mettre. Naturellement les questions de base des notes, du rythme, etc… Mais également donner un sens de ce qu’on lit dans la partition, mais qui n’est pas écrit. Avec un compositeur du passé, on ne peut que rester à l’état d’hypothèse, alors qu’avec un compositeur vivant, on peut confronter ses hypothèses avec le créateur en lui-même : il y a un espace d’échange qui est très stimulant.
Il y a aussi l’avantage, quand on crée une œuvre avec un compositeur vivant, de ne pas encore être encombré des traditions qui ont pu marquer l’interprétation d’une œuvre et personne sur le plateau, ni les chanteurs ni l’orchestre, n’a une idée préconçue de la musique à interpréter… C’est un terrain vierge, et c’est assez excitant ! Cela demande cependant un travail plus ardu parce qu’il est plus difficile d’envisager l’œuvre d’un compositeur pour lequel on a aucune idée sur le style et l’univers. Il faut se familiariser assez rapidement avec l’œuvre. Avec Joséphine cela passe par l’écoute d’autres œuvres et la discussion avec elle pour comprendre quel est son parcours de vie, son environnement musical, quelles sont ses idées, les musiques qui la marquent… On sait finalement moins qui était Bach, qui était Mozart : nous n’avons que leurs écrits. Là, quand on peut discuter directement avec la compositrice on remarque qu’il y a des choses qui lui tiennent à cœur.

Hugo Valat : Suite aux nombreux échanges, dont vous venez de parler, avec la compositrice, Joséphine Stephenson, comment abordez-vous le travail sur la partition de Three Lunar Seas ?

Léo Warynski : À mon sens, une des idées intéressantes que Joséphine développe c’est l’utilisation de la voix et la place qui lui est donnée dans l’œuvre. Elle a notamment chanté dans des chœurs ainsi qu’à la Maîtrise de Radio France et ça se sent dans son écriture. Elle donne une place prépondérante au chœur. J’ai discuté avec elle et quand nous avons parlé du son du chœur, je pensais qu’il y avait l’idée d’un son qu’elle avait pu connaître et qu’elle pouvait avoir en tête en ayant chanté dans une Maîtrise. J’ai ainsi demandé aux sopranos de contrôler le vibrato afin d’avoir un son plus « pur » et d’avoir une esthétique vocale de chœur de chambre. Et ce matin, avec l’orchestre, Joséphine a insisté sur certains types de sons qu’elle voulait : pour ma part je ne pouvais pas trancher directement en lisant la partition et c’est pour cela que j’ai besoin de son regard.

Hugo Valat : Diriez-vous qu’un chef d’orchestre a une part de création dans l’interprétation et la direction d’une œuvre musicale ?

Léo Warynski : C’est intéressant, parce que si on déroule le sens du mot, « interpréter » c’est à la fois essayer de donner un sens à une chose qui n’en a pas forcément, mais c’est aussi éclaircir le sens de choses qui peut être caché de prime abord. Donc l’interprétation suppose aussi une certaine forme d’imagination. Lorsque je regarde une partition d’opéra j’essaye de refaire la démarche du compositeur. Partir du texte du livret, de ce qu’il raconte, et ensuite essayer de comprendre comment le compositeur a choisi d’animer ce texte et de lui donner vie dans la musique. Soit en figurant, soit en prenant de temps en temps le contrepied dans l’interprétation par exemple. Quand on a cette démarche, généralement on ne se trompe pas. Il m’arrive cependant de temps en temps de faire fausse route… Ou d’être dans le vrai. C’est là que la confrontation de nos écoutes avec Joséphine est intéressante.

Hugo Valat : Y a-t-il des enjeux particulier dans la direction de Three Lunar Seas ?

Léo Warynski : Il y a un enjeu, qui est celui de tout opéra : c’est d’animer la dramaturgie musicale et de donner une cohérence aux scènes. Dans la musique de Joséphine en particulier, il y a un aspect coloriste : elle fonctionne beaucoup par détails et touches, notamment dans l’orchestration. C’est mon rôle de faire en sorte que l’orchestre soigne cette sorte de mélodie de couleurs de timbres qui circule dans tout l’orchestre.
Il y a aussi des chanteurs qui viennent de différents univers, et surtout Kate Huggett, qui vient de l’univers de la pop. Il faut l’accompagner de façon un peu plus vigilante par rapport à un chanteur ou une chanteuse lyrique qui a plus l’habitude de la scène d’opéra et c’est mon rôle de l’aider. Un chef d’orchestre n’a jamais un rôle unique. Il faut l’envisager de manière protéiforme : être un animateur de la dramaturgie musicale, accompagner et détendre les chanteurs, donner à l’orchestre des indications musicales qui lui permettent de s’exprimer…

Hugo Valat : Diriez-vous que la rencontre avec des compositrices ou des compositeurs vivants influence votre perception de la direction musicale ?

Léo Warynski : L’échange que je peux avoir avec un compositeur vivant me rend souvent plus libre dans la musique du passé, parce que lorsque vous discutez avec elle ou lui, vous vous rendez compte qu’elle ou il n’a souvent pas d’autre désir que de voir les musiciens s’emparer de sa partition et d’en livrer une interprétation. Cet aspect pragmatique de la composition, on peut aussi se l’autoriser sur la musique du passé. Lorsqu’on sacralise trop la partition, on fige les choses, et je pense qu’il faut toujours garder à l’esprit qu’il faut conserver une forme de liberté dans l’interprétation. Parce qu’on ne s’adresse pas à un public du passé mais bien à un public du XXIème siècle qui a déjà tellement de musiques en tête. C’est ce qu’avait tout de suite pressenti un chef comme Nikolaus Harnoncourt.

Hugo Valat : En tant que chef d’orchestre, avez-vous une préférence entre la direction de la musique du passé et celle de la musique contemporaine ?

Léo Warynski : Dire que j’ai une préférence, cela m’obligerait à faire un choix qui supposerait un renoncement dont je n’ai pas envie pour le moment. Je dis souvent que l’œuvre que je préfère, c’est celle que je dirige en ce moment…

Informations pratiques

THREE LUNAR SEAS – Création mondiale

Auteur(s)
Livret de Ben Osborn, musique de Joséphine Stephenson
Opéra chanté en anglais, surtitré en français

Mise en scène
Frédéric Roels

Direction musicale
Léo Warynski

Distribution
Her Eduarda Melo
She Jess Dandy
The Midwife / The Watchman Anas Seguin
Cynthia Patrizia Ciofi
He Ari Soto
Serena Kate Huggett
Un enfant Timothé Mauras

Scénographie, lumière et vidéo Dori Deng
Costumes Lionel Lesire
Chorégraphie Emilio Calcagno
Assistante à la mise en scène Nathalie Gendrot
Études musicales Philip Richardson

Chœur Chœur de l’Opéra Grand Avignon
Cheffe de chœurs Aurore Marchand
Orchestre national Avignon-Provence
Nouvelle production de l’Opéra Grand Avignon

Dates
Vendredi 5 mai 2023 à 20h
Dimanche 7 mai 2023 à 14h30

Durée
1h30

Adresse
Opéra Grand Avignon
Place de l’Horloge
84000 Avignon

Informations complémentaires
Opéra Grand Avignon
www.operagrandavignon.fr/three-lunar-seas