« Rêve et folie », de Georg Trakl, mise en scène de Claude Régy, Théâtre des Amandiers, Nanterre

Article de Pierre-Alexandre Culo

Claude Régy fait son Eloge de l’ombre.

Claude Régy tresse l’effroi et l’émerveillement comme il fait s’enlacer l’ombre et la lumière. À 93 ans, le metteur en scène dépasse les limites du spectacle vivant et trouve dans le texte de Georg Trakl une puissance cauchemardesque qui déploie un chemin possible et sensoriel entre la vie et la mort. Avec Rêve et folie, il clôt avec suprématie une recherche qui l’a mené au-delà des limites du langage. Voyage à l’intérieur même de la matière de l’ombre, Claude Régy signe peut-être son dernier spectacle mais laisserait derrière lui une porte d’entrée sublime et glaçante vers un ailleurs, une forme mystique de théâtre dont lui seul a le secret.

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© Pascal Victor ArtcomArt

La figure de Georg Trakl et son écriture paraissent indissociables et déploient son essence entre les mains de Claude Régy. Poète autrichien mort prématurément à 27 ans d’overdose au front de la guerre de 14, sa vie est marquée par le franchissement des interdits, la toxicomanie, l’inceste et une obsession d’autodestruction. Son écriture est contradictoire, frictionnant des images disparates et créant une fusion poétique parfaite entre le son de la langue allemande et le sens, dans une attention sensible au silence. Claude Régy y voit sans doute une écriture en harmonie avec ses propres recherches, « créant des espaces intérieurs : on entre dans un mode de perception au-delà de la pure intelligibilité ». Cette harmonie permet d’atteindre l’essence et la violence de cette écriture si caractéristique.

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© Pascal Victor ArtcomArt

La traduction du titre de ce long poème, Traum und Umnachtung, occulte une part considérable de la portée de ce texte. Traduit par le terme « Folie », Umnachtung fait entendre une part nocturne (Nacht) qui décrit un enténèbrement, une possession angoissante par la noirceur. Cette angoisse viscérale se déploie entre les lignes, les images spectrales de la mère, de sa sœur violée et dans les sonorités éclatées de la voix de Yann Boudaud. Cet enténèbrement  est rendu matériel par l’impressionnant travail d’obscurité opéré par le duo Claude Régy/Alexandre Barry. Rêve et Folie développe une pluralité de sensation de l’obscurité révélant la luminosité du noir si chère au metteur en scène. L’arche scénographique capture les teintes et couleurs obscures qui se développent en spectres hypnotiques dans l’esprit du spectateur. Le spectacle se passe dans les hallucinations mentales de la salle et non sur le plateau. La performance de Yann Boudaud est un capteur hypnotique qui conduit dans un état de perception, aux limites de la transe, qui a constitué le mythe de Claude Régy.

Expérience corporellement douloureuse, cet enténèbrement éblouissant conduit dans des états contradictoires de la veille acérée du cauchemar au demi-sommeil proche du rêve. Rêves et Folie, et rien de plus.

Rêves et Folie

Texte de Georg Trakl

Traduction de l’allemand par Marc Petit et Jean Claude Schneider

Mise en scène de Claude Régy

Assistant à la mise en scène Alexandre Barry

Avec Yann Boudaud

Scénographie Sallahdyn Khatir

Lumière Alexandre Barry assisté de Pierre Grasset

Son Philippe Cachiat

 

Du 15 septembre au 21 octobre 2016.

 

Théâtre des amandiers.

7 avenue Pablo Picasso

92022 Nanterre

http://www.nanterre-amandiers.com/