Parlons de la « Génération Y », de ces « millénariaux », parlons de l’identité de cette jeunesse. Les créations qui s’expriment avec fougue sur les problématiques de sa génération pullulent. Une thématique complexe, en bord de falaise, avec ce danger omniprésent de chuter dans le pathos vertigineux des pièces de jeunesse. Avec Rien ne saurait me manquer, le cie Avant L’Aube traverse avec dextérité ce canyon, sur un fil superbement tendu et distendu. Ces funambules hystériques déploient une pièce fragmentée, un ingénieux kaléidoscope. Ils et elles s’amusent de leur génération, s’en emparent avec dérision et une grande sincérité, sans verser dans le stéréotype du malaise générationnel.
Funambules entre deux âges, embarqué.e.s sur le chemin tortueux de leur avenir, les comédien.ne.s mettent à nu les pores les tensions dans le couple, le passage parfois dénué de transition à la vie active et l’émancipation de la (sur-)protection parentale. L’écriture collective rend compte avec acuité des micro séismes de nos interactions et relations quotidiennes. A travers un patchwork de scènes, le trio énergique formé d’Agathe Charnet, Vincent Calas et Lillah Vial, parodie la tour d’ivoire d’une émission France Inter, où les invité.e.s s’époumonent dans une joute verbale alambiquée débattant sur le devenir de cette génération « connectée ». Arborant paillettes et postiches blond platine sous l’éclairage moucheté d’une boule à facette, les interprètes sont mis en scène par Maya Ernest avec l’inventivité et l’humour à l’œuvre depuis les débuts de la Compagnie.
Consommer bio, réduire son empreinte carbone, aller voir un thérapeute, tel est le discours social élimé rebattu à nos oreilles et censé servir de baromètre au bonheur 2.0. La dernière création de la Compagnie Avant L’Aube, esquisse à grands coups de pinceau le portrait d’une génération Y, remorquant les débris des idéaux politiques de mai 68 et baptisée par l’avènement du numérique. Si les applications sont téléchargeables à l’infini et la connaissance à « portée de clic », il est difficile d’en dire autant du bonheur.
Rien ne saurait me manquer est certes imprégné de l’instant présent, de l’actualité, mais rassemble surtout trois comédien.nes qui prennent un plaisir immense d’être rassemblé.es sur ce plateau. A cet instant précis, sans peut-être savoir ce que sera la suite. Ils et elles arrivent dans des tableaux inventifs, à l’imaginaire débordant, à faire ressentir l’essence vital d’une génération qui avant tout espère, rêve et vit.
© Nicolas Pintea / Laura Wojcik
Thomas Pesquet, Mélanie Laurent, Marion Cotillard, Xavier Dolan… La pièce déploie un imaginaire collectif fait de héro.ïnes ou anti-héro.ïnes contemporain.es que l’on se surprend à reconnaître instinctivement, sans jamais être nommé.es. Plus que de simplement parler de sa génération, l’équipe l’utilise concrètement avec la folie, l’irrévérence et la légèreté du jeu. L’interprétation délurée d’Agathe Charnet est tout simplement jouissante.
Ce spectacle résolument pop et festif révèle une jeunesse ivre d’espoirs qui écorne, tout en mêlant autodérision et lucidité, les clichés sociaux qui la cadenassent et freinent son élan. La recherche épicurienne ne semble finalement accessible qu’à travers un hologramme de Thomas Pesquet, avatar d’un ailleurs où ce qui est inatteignable ici-bas serait possible. Sondés sur leur quête du bonheur, les spectateur.rice.s sont invités à remettre sur orbite leurs rêves désaxés.
Informations pratiques
Auteur(s)
Agathe Charnet
Mise en scène
Maya Ernest
Avec
Vincent Calas, Agathe Charnet, Lillah Vial
Dates
Du 20 février au 3 mars 2018
Durée
1h
Adresse
Théâtre de la Reine Blanche
2 bis passage Ruelle
75018 Paris
Informations et dates de tournée
http://www.reineblanche.com