Article de Paula Gomes
Le souffle de la jeunesse
Un homme nous introduit comme un prêche l’histoire d’amour de « Roméo et Juliette », personnages issus de deux familles ennemies les Capulet et les Montaigu. L’innocence et la pureté de leurs sentiments vont braver les interdits de leurs parents. La prophétie annonce l’issue fatale de ces amants maudits de l’œuvre de Shakespeare. De hautes façades grises, un chanteur fredonne sur la place, tous les villageois sont à la fête, ils se regardent, virevoltent. Une nouvelle querelle éclate, tout s’arrête, voici l’écrin de cette pièce légendaire.
Éric Ruf nous plonge dans l’Italie des années 30 pauvres et pieuses : chants des hommes et de la nature, danses estivales, tenues et décors épurés. Deux jeunes gens vont tomber amoureux, se jurer un amour éternel et se marier secrètement. Roméo mélancolique est un antihéros et Juliette un personnage fort qui outrepasse toutes les règles. La simplicité apparente des personnages et de la mise en scène révèle le texte puissant, l’intrigue, l’intensité des sentiments et la complexité des rapports familiaux. Concorde et discorde s’installent dans une continuité parfaite. Les décors s’enchaînent avec une grande fluidité en dessinant les lieux. Les scènes bucoliques alternent avec les confrontations violentes dans cette passion fulgurante et éphémère. Christian Lacroix a produit de sublimes costumes mis en lumière par Bertrand Couderc. Les jeunes femmes portent des robes en dentelles aux couleurs pastel et des couronnes de fleurs. Pas de faste, des couleurs éteintes, les hommes sont en costume noir, signe de deuil. Le rouge est celui du sang versé. La lumière zénithale exprime la canicule où les esprits s’échauffent mais aussi la spiritualité. La nuit complice des deux amants est marquée par un éclairage atténué.
Les comédiens doivent trouver les ressorts entre ironies, tragédie sans oublier les effets comiques. Le résultat est éblouissant, harmonieux et d’une grande justesse. Le spectateur est entraîné, en suspens, dans la scène du balcon où Juliette dans un équilibre fragile s’expose tout entière. Suliane Brahim interprète admirablement ce rôle avec une simplicité étonnante. Jérémy Lopez est un Roméo convaincant, ils représentent la fougue de la jeunesse. Didier Sandre nous montre sa puissance de jeu en père Capulet intransigeant et parfois féroce. Bakary Sangaré, conteur captivant incarne brillamment Frère Jean en compagnie de Serge Bagdassarian dans le rôle de frère Laurent.
La traduction de François-Victor Hugo ajoute une touche de modernité au texte de Shakespeare riche et poétique. L’hypocrisie, les conventions sociales, le pouvoir engendrent l’intolérance inévitablement et ils condamnent le sentiment noble des cœurs de Roméo et Juliette à un souffle tragique. La création d’Éric Ruf apporte un nouveau souffle au mythe shakespearien avec une proposition artistique engagée et originale qui va à l’essentiel. Une entrée remarquable et en beauté pour ce « Roméo et Juliette » qui n’avait pas été joué depuis plus d’un demi-siècle à la Comédie-Française .
Roméo et Juliette de William Shakespeare
Version scénique d’après la traduction de François-Victor Hugo
Mise en scène Éric Ruf
Avec Claude Mathieu : La nourrice
Michel Favory : Le Prince
Christian Blanc : Montaigu
Christian Gonon : Tybalt
Serge Bagdassarian : Frère Laurent
Bakary Sangaré : Frère Jean
Pierre Louis-Calixte : Mercutio
Suliane Brahim : Juliette
Nâzim Boudjenah : Benvolio (en alternance)
Jérémy Lopez : Roméo
Danièle Lebrun : Lady Capulet
Elliot Jenicot : Le comte Pâris
Laurent Lafitte : Benvolio (en alternance)
Didier Sandre : Capulet
et les élèves-comédiens
Pénélope Avril, Vanessa Bile-Audouard, Marianne Granci : musiciennes, jeunes filles
Théo Combi Lemaïtre : Balthazar
Hugues Duchène : Pierre
Laurent Robert : Samson
Équipe artistique :
Mise en scène et scénographie : Éric Ruf
Costumes : Christian Lacroix
Lumière : Bertrand Couderc
Travail chorégraphique : Glysleïn Lefever
Arrangements musicaux : Vincent Leterme
Réalisation sonore : Jean-Luc Ristord
Collaborateur artistique : Léonidas Strapatsakis
Assistante à la mise en scène : Alison Hornus
Maquillages : Carole Anquetil
Assistante à la scénographie : Dominique Schmitt
Du 5 décembre 2015 au 30 mai 2016
Comédie-Française
Place Colette
75001 Paris
http://www.comedie-francaise.fr/