« La Ronde », d’Arthur Schnitzler, mise en scène Anne Kesler au Vieux-Colombier

Article d’Ondine Bérenger

In girum imus…

Publiée en Allemagne en 1903 et censurée une année plus tard, La Ronde se compose d’une suite de dix saynètes où des duos de personnages, issus de tous milieux sociaux, se rencontrent et discutent jusqu’à l’acte sexuel. À chaque nouveau dialogue – chaque tour de ronde –, l’on retrouve un personnage de la scène précédente. Dans cette version scénique de Guy Zilberstein, le personnage de Ludwig Hoëshdorf, plasticien créateur d’une installation nommée Les Chromosomes énigmatiques, s’adjoint au texte d’origine pour créer un lien entre les scènes. Narrateur de l’histoire, il cherche, à travers cette « reconstitution », à retrouver ses parents biologiques.

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© Brigitte Enguerand / Collection Comédie-Française

C’est au cœur de cette installation – une plate-forme tournante, découpée en plusieurs espaces distincts – que se déroule l’intégralité de la représentation. Sur le socle, on peut lire le palindrome attribué à Virgile « In girum imus nocte et consumimur igni » (« Nous tournons en rond dans la nuit et sommes dévorés par le feu »). On l’aura bien compris : c’est une ronde d’amour et de désir que l’on nous propose de suivre. Toutefois, en choisissant la mise en abîme opérée par le personnage du plasticien, Anne Kesler joue la carte de la distanciation. À grand renfort de comédie, on voit la sensualité et la tension de la pièce s’effacer au profit d’une imagerie pudique mais indélicate, jusqu’à la disparition totale de sa substance érotique. Vacuité des amours et du désir, grotesque de la séduction ? C’est peut-être finalement l’hypothèse éprouvée, car effectivement, tant de recul comique donne un air de moquerie un peu plat. On tourne en rond… Il semble, de plus, que la traduction serve cette idée, car couplée à un tel parti-pris de mise en scène, l’action se rapproche parfois plus dangereusement du harcèlement sexuel que de la séduction réussie… De quoi rester circonspect.

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© Brigitte Enguerand / Collection Comédie-Française

Cependant, les comédiens de la Comédie-Française servent à merveille leurs rôles, et insufflent à la pièce un rythme suffisant pour qu’on ne s’ennuie pas, malgré les deux heures vingt de représentation (qui, soit dit en passant, auraient pu souffrir un entracte voire quelques coupures…). Le jeu est omniprésent, reposant sur la liberté offerte par ces personnages archétypaux sans identité fixée. Entre tous, on remarquera notamment Pauline Clément, qui donne à la Prostituée un relief tout particulier. On appréciera également d’avoir pour guide à travers cette ronde Louis Arene, un Plasticien énigmatique qui parvient à légitimer cette « reconstitution » en donnant ainsi un but à la représentation.

Ainsi, la troupe du Français parvient à faire de cette pièce un moment agréable, malgré une mise en scène dont le manque de relief et le trop grand recul nous laissent plutôt tièdes…

 

 

 

La Ronde

d’après Arthur Schnitzler

Mise en scène et costumes Anne Kesler

Traduction, version scénique et scénographie Guy Zilberstein

avec Sylvia Bergé, Françoise Gillard, Laurent Stocker, Julie Sicard, Hervé Pierre, Nâzim Boudjenah, Benjamin Lavernhe, Noam Morgensztern, Anna Cervinka, Pauline Clément et Louis Arene

Lumières Arnaud Jung

Son Dominique Bataille

Travail chorégraphique Glyselïn Lefever

Maquillage et coiffure Véronique Soulier-Nguyen

Assistanat à la mise en scène Rita Grillo

Assistanat aux costumes Renato Bianchi

 

 

du 23 novembre 2016 au 8 janvier 2017

 

Théâtre du Vieux-Colombier

21 rue du Vieux-Colombier

75006 Paris

http://www.comedie-francaise.fr