Article de Paula Gomes
Rosa marche pour le peuple et la liberté, sa voix vibre pour l’éternité
Dans l’obscurité brumeuse, une lourde porte grinçante se referme. Vêtue d’une veste à capuche noire, une femme apparaît immobile les yeux bandés au milieu de ballons rouges suspendus. Elle ressemble à une adolescente d’aujourd’hui. De sa prison, les rumeurs se font entendre. Ils disent : « Rosa la rouge », « Rosa l’étrangère », « Voilà la Rouge, la vieille putain », « L’ordre règne à Berlin ». La fin tragique de Rosa Luxemburg approche. Cette juive polonaise devenue Allemande, militante marxiste est cruellement assassinée à Berlin le 15 janvier 1919 : crâne défoncé à coups de crosse et corps jeté dans un canal. La révolutionnaire se remémore sa vie : son enfance, ses passions, sa fuite pour Zurich et son arrivée à Berlin, son engagement politique, ses luttes et ses amours. « Seule en scène » puissant et mystique où la voix de la noyée résonne dans la profondeur des eaux, tel un spectre et ne s’éteint jamais. Malgré son handicap et ses années d’incarcération, le spectateur découvre une héroïne aimée, courtisée, déterminée et porteuse d’espoir dans une période troublée par la montée des nationalismes. Ce long poème émouvant éclaire avec originalité et modernisme le parcours de cette féministe visionnaire, incarnée remarquablement par Soizic Gourvil.
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Après « La chambre de Milena » dévoilant l’existence de Milena Jesenskà, Filip Forgeau avec cette nouvelle création « Rosa Liberté » explore le destin dramatique mais aussi la personnalité hors du commun d’une femme engagée dans l’Histoire. Son écriture précise sert la fiction et apporte un regard plus actuel, toujours en poésie avec une mise en scène particulière. Soizic Gourvil réalise une performance, son corps est figé et ses yeux recouverts d’un bandeau noir qu’elle retire ensuite. Comme un masque à son infirmité, maladie qui la fait boiter et pour rappeler son enfermement, Rosa s’anime peu, quelques déplacements et gestes. C’est d’autant plus difficile que le texte est fort et qu’il faut garder le rythme malgré les ruptures, l’univers sonore et musical (slam, rock). Maîtrise du corps et concentration extrême, débit contrôlé et respirations pour un sans-faute.
La scénographie est ingénieuse et efficace. Les ballons rougeoient personnifiant tour à tour : passions (lecture et écriture), êtres chers, cœurs amoureux, montée de la révolte. La mort, la guerre, la vie et les rêveries sont omniprésentes. Faisceau verdâtre sur Rosa Luxemburg lorsqu’elle revit la noyade « Vieille putain…ils me traînent sur le sol et jettent mon corps dans le canal », scène en leitmotiv. Voyage onirique dans la nuit entre réalités, rêves et cauchemars avec une atmosphère particulière (brumes, bruits de porte de prison, de soldats, discours au microphone).
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Soizic Gourvil insuffle beaucoup de force à son personnage. Son visage s’illumine ou s’assombrit, les tensions sont palpables. Témoignage vibrant d’une femme intègre, révoltée qui se bat pour la liberté, un moment intense et bouleversant. Bertolt Brecht, jeune poète de 21 ans, lui rendit hommage à sa mort et bien d’autres artistes depuis. Aujourd’hui encore, ses propos font écho dans une période agitée où la jeune génération cherche ses repères.
Rosa Liberté
librement inspiré de la vie et du combat de Rosa Luxemburg
Texte et mise en scène Filip Forgeau
Avec Soizic Gourvil
Création sonore Lionel Haug
Régie lumière Michaël Vigier
Production Compagnie du Désordre
Du 10 au 27 Mars 2016
Théâtre de l’Épée de Bois
La Cartoucherie
Route du Champ de Manœuvre
75012 Paris
http://www.epeedebois.com/