Article de Sébastien Scherr
Manque de tripes
Des fioritures, des effets (journaux qui tombent des cintres), de la vidéo en veux-tu en voilà, des courses-poursuites dans tous les sens (on se croirait chez Labiche), un décor en style béton qui n’évoque ni l’abattoir, ni la bourse aux bestiaux, ni Chicago, ni le froid et la neige, une Sainte Jeanne qui ressemble à sainte nitouche, bien gentille mais sans relief et pas du tout exaltée, des effets sonores trop présents… Le spectacle est vite décevant à cause d’une mise en scène surchargée qui mise plus sur la démonstration que sur l’imagination du public.
© Denise Oliver Fierro
Pourtant, les comédiens sont plutôt bons dans l’ensemble, en particulier Mauler, plein d’énergie et au jeu cynique juste ce qu’il faut. Mais comment peut-il être touché par la grâce en voyant cette Jeanne un peu falotte ? Et pourquoi la metteuse en scène n’a pas voulu que Jeanne repère immédiatement le roi de la viande parmi les industriels, comme le veut la traditionnelle analogie à la fameuse scène de Jeanne d’Arc face à Charles VII ? N’était-elle pas suffisamment inspirée ? L’un des jeunes ouvriers, et le producteur de bétail sont convaincants par leur fraîcheur. Les parties chantées sont sans doute la meilleure part du spectacle : l’interprétation vocale et instrumentale tient la route.
© Denise Oliver Fierro
Mais ce qui manque surtout à la pièce, c’est l’incarnation. Les vidéos sur les abattoirs modernes et leur défilé de bêtes découpées ne suffisent pas à rendre l’esprit de la pièce : il serait préférable de voir le sang dans les yeux des industriels, véritables carnassiers de la finance, de ressentir le froid glacial de cette ultime pauvreté et la désespérance des ouvriers. Lorsque Jeanne vient leur apporter de la soupe chaude au début de la pièce, ni les ouvriers ni les petits chanteurs de l’armée du salut ne semblent frigorifiés. Ils sont simplement des acteurs dans un théâtre bien chauffé.
Enfin, les chassés-croisés incessants et les sons qui masquent parfois la voix des comédiens empêchent de bien entendre le texte de Brecht, comme de poser la gravité des situations. Sauf peut-être à la fin, où le discours politique en langue de bois est bien traduit par le jeu complice des industriels.
Sainte Jeanne des abattoirs
Mise en scène Marie Lamachère
De Bertolt Brecht
Avec Clément Bonnefond, Xavier Brossard, Salif Cissé, Emilie Dreyer-Dufer, Baptiste Drouillac, Michaël Hallouin, Antoine Joly, Gilles Masson, Laurélie Riffault,Makita Samba, Gérald Robert-Tissot, Anaïs Vaillant, Damien Valero
Scénographie Delphine Brouard
Création Lumières Franck Besson
Images vidéo Gilbert Guillaumond et Simon Leclère
Avec la participation de Laya Bouaziz, Dominique Gal, Omar Khenfech, Ken Tambu-Milambu, Jocelyne Quarenghi
Composition musicale Iris Lancery et Bruno Capelle
Composition des chansons Clément Bonnefond, Emilie Dreyer-Dufer, Anaïs Vaillant et Damien Valero
Costumes Frédéric Payot et MC2 Grenoble
Du 2 au 4 avril 2016
Théâtre L’échangeur
59, avenue du Général De Gaulle
93170 Bagnolet