« SCANDALE ET DÉCADENCE », Anaïs Müller et Bertrand Poncet jouent avec virtuosité à faire du « théââââtre »

Scandale et décadence de la Compagnie Shindô © Charles Chauvet

« Mais il n’y a plus de société, plus de règles, plus de convenances, pas plus pour la conversation que pour la toilette. Ah ! Mon cher, c’est la fin du monde. Tout le monde est devenu si méchant. C’est à qui dira le plus de mal des autres. C’est une horreur ! » La Prisonnière, Marcel Proust.

Anaïs Müller et Bertrand Poncet sont deux artistes inclassables s’aventurant toujours hors des sentiers battus. Leurs alter egos de fiction, respectivement « Ange » et « Bert », jouent à se perdre depuis déjà deux spectacles : Un jour j’ai rêvé d’être toi (2017) et Là où je croyais être il n’y avait personne (Prix du Jury au Festival Impatience 2021).

Le troisième volet de ces « Traités de la Perdition » s’intitule donc Scandale et décadence et cette fois-ci nos deux (anti)héros se perdent dans les sentiers alpins en quête d’une station thermale qui s’avère finalement être désaffectée et, comble de l’absurde, privée d’eau ! Pensant avoir fui une société scandaleuse et décadente, ils se retrouvent enfermés – de leur plein gré ! – dans ce sanatorium en ruine et, pour tuer le temps, s’amusent à rejouer la relation qu’entretenaient Marcel Proust et sa fidèle gouvernante, Céleste Albaret.

Car ce spectacle est aussi une tentative d’adaptation à la scène de l’œuvre monumentale de Marcel Proust : À la recherche du temps perdu. Entreprise ambitieuse, où l’enjeu n’est pas tant de livrer une interprétation fidèle de l’œuvre romanesque de Proust, que de tenter d’en extraire la substance en sondant les obsessions de l’auteur, qui se révèlent être celles de nos deux protagonistes sur scène.

Rien ne semble pouvoir les sortir de leur neurasthénie, dans laquelle ils se complaisent, jusqu’à ce qu’ils se décident à contacter un sorcier vaudou qui leur donne rendez-vous à Kinshasa… Le but de tout cela ? Vaincre la mort en trouvant le moyen de laisser à la postérité une œuvre leur permettant d’entrer à jamais dans le panthéon des génies de l’humanité. Rien que ça ! Comme l’écrit Proust lui-même dans Le Temps retrouvé : « L’œuvre d’art est le seul moyen de retrouver le temps perdu. » La vidéo prend alors le relai de la narration et au cours du spectacle nous voyons à plusieurs reprises Ange & Bert errer dans les rues de Kinshasa à la recherche de ce fameux sorcier vaudou…

Dans un jeu de la mise en abyme permanente, Anaïs Müller et Bertrand Poncet s’amusent à questionner notre rapport à la fiction et, par effet miroir, à l’existence, en interrogeant le caractère éphémère de toute chose – et en particulier de la représentation théâtrale – et notre quête pourtant désespérée de trouver le moyen de laisser une trace de notre passage sur Terre survivant à notre disparition. Une gravité qui n’empêche pas l’humour et la légèreté car le vrai rire de la comédie est souvent un rire tragique.

Scandale et décadence2 @Charles Chauvet
Scandale et décadence1 @Charles Chauvet

Scandale et décadence de la Compagnie Shindô © Charles Chauvet

Informations pratiques

SCANDALE ET DÉCADENCE – Compagnie Shindô

Conception
Anaïs Müller & Bertrand Poncet

Jeu
Anaïs Müller & Bertrand Poncet

Scénographie Charles Chauvet
Lumière Diane Guérin
Vidéo Romain Pierre et Elza Oudry

Durée
1h15

Dates
Le 11 mars 2023 au Théâtre des Halles, Avignon

Adresse
Théâtre des Halles
4, rue Noël Biret
84000 Avignon

Informations complémentaires
Théâtre des Halles
www.theatredeshalles.com

Compagnie Shindô
shindoprod.com