Article de Marianne Guernet-Mouton
Il n’y a pas de divorce, il n’y a que des preuves de divorce
« Scènes de la vie conjugale », à l’origine est un film réalisé par Ingmar Bergman sorti en 1973 sous forme de mini série de six épisodes, dont plus d’un tiers de la Suède suivit la sortie. Aujourd’hui, Nicolas Liautard en propose une adaptation théâtrale qui durant presque quatre heures nous plonge dans la vie intime d’individus, pour ne pas dire « couples ».
© Catulle
Un homme, une femme, un couple, l’amour : synonymes et conjugables ou éternels antagonistes ? Au théâtre, le metteur en scène répond par le bi-frontal, comme si le couple ne pouvait se penser autrement que sur le mode de l’affrontement, comme si l’amour avait pour dessein de remplir ce vide infranchissable entre les êtres.
Comme le rappelle un des personnages, l’action sonne comme une mauvaise pièce qu’on a déjà vue mille fois. Pourtant il n’en est rien. Sur ce plateau autour duquel le public a pris place dans un rôle de voyeur, on découvre un intérieur d’appartement sobrement agencé avec goût par Marianne et Johan, un couple sans problèmes, qui reçoit à dîner un couple plein de problème. Marianne aime défendre les opprimés, alors elle est devenue avocate spécialisée dans le divorce. Pour elle le bonheur se résume à son couple avec Johan, une existence sociale, pas de disputes, le confort matériel, et de la tendresse parfois en vacances ou le temps de week-ends à la campagne. Marianne (Anne Cantineau) est naïve, serviable, optimiste, pour elle tout va bien. Johan lui, professeur en faculté, semble subir l’image de ce couple parfait mais sans amour, jusqu’au jour où il tombe amoureux de l’une de ses étudiantes. Alors il quitte sa femme et se met à penser que le mariage ne devrait exister que sous forme de CDD non renouvelable de cinq ans. Comme ça, on éviterait bien des problèmes.
© Catulle
La mise en scène de Liautard présente cette femme et cet homme dans la détresse de leurs sentiments durant vingt ans de leur vie, vingt ans qu’ils vont passer à vouloir divorcer, vouloir aimer, vouloir s’aimer, sans jamais vraiment parvenir à ne plus vivre ensemble. Peut-être que c’est ça au bout du compte un couple, l’union de deux êtres impuissants face à la solitude, démunis face au monde dont les chemins finissent par se croiser avec l’espoir d’un avenir commun plus supportable. Sur ce chemin qu’est le plateau, plus les années passent plus le décor se vide, jusqu’à disparaître complètement. On assiste lentement au détachement matériel de ce couple en recherche de vérité, qui finit par se contenter des mots. Le metteur en scène a voulu renoncer à toute littérature si bien que les acteurs s’expriment à la frontière entre leur personnage et leur expérience propre avec une touchante vulnérabilité, à tel point que par moments sont diffusés des extraits de la pièce en train de se faire et des acteurs en pleine réflexion sur leur personnage. Tous sont renversants, en particulier Madame Jacobi, une cliente de Marianne qui désire divorcer simplement parce qu’elle n’a jamais connu l’amour, parce qu’elle et son mari n’ont jamais eue de problèmes, ce qui est en soi le signe d’un problème : l’absence d’amour.
Si l’on anticipe souvent l’enchaînement des scènes, on reste toujours surpris et affectés par la vraisemblance de ce couple et des discours tenus sur scène. Pourtant, la scénographie crée une distance perpétuelle et intéressante entre les êtres qui paraissent ainsi toujours jouer vrai dans de fausses situations. Comme si le couple oscillait toujours entre éloignement et rapprochement. Le couple, cette lointaine proximité que l’on construit comme on meuble un appartement alors que tout devrait résider dans la pure expression des sentiments. Peut-on réellement vivre ensemble et en toute simplicité ? Sommes-nous tous égarés ? Le confort intéresse-t-il plus que la vérité, que le risque de l’amour ?
Timidement optimiste, l’adaptation de Nicolas Liautard donne à penser qu’il est toujours possible de ne plus s’engluer dans l’idée de couple, du rien à dire, d’un vainqueur et d’un vaincu, et de se laisser vivre l’indicible. Tous les personnages nous apprennent une chose : le véritable amour ne serait pas de chercher à remplir le vide en forçant celui qui ne nous aime pas à finalement nous aimer, mais de se forcer soi-même, coûte que coûte, à toujours aimer.
Scènes de la vie conjugale
de Ingmar Bergman
Mise en scène Nicolas Liautard
Son Thomas Watteau
Administration Magalie Nadaud
Avec Anne Cantineau, Fabrice Pierre, Sandy Boizard, Michèle Foucher, Nicolas Liautard et en alternance, Magali Leiris ou Nanou Garcia, Christophe Battarel ou Jean-Yves Broustail ou Nicolas Roncerel
Du 22 au 14 février 2016
Théâtre de la Colline
15, rue Malte-Brun
75020 Paris
www.colline.fr