« Scènes de violences conjugales », texte et mise en scène Gérard Watkins, au Théâtre de la Tempête

Article de Marianne Guernet-Mouton

Scènes de couples : celles qui vont souffrir vous saluent

Tous les trois jours, une femme meurt sous les coups de son compagnon. Sur la scène du Théâtre de la Tempête, Gérard Watkins met en scène Scènes de violences conjugales, dont il est aussi l’auteur, pour trouver des issues à ces chiffres qui ne cessent d’augmenter. Sur un plateau tri-frontal et sans décor, Annie, Pascal, Rachida et Liam se croisent et s’aiment pour la première fois, tous se rencontreront lors d’une visite d’appartement malgré l’ignorance de leur point commun : les violences conjugales.

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© mandarine

Dans cette arène dédiée au couple et au sentiment amoureux qu’est le plateau surplombé par une batterie rythmant chaque mouvement des personnages ou changement de scène, Gérard Watkins conçoit une pièce autour du geste. Le geste retenu de la première rencontre, le geste timide des premiers émois, le geste amoureux des premières étreintes, le geste déplacé des premières jalousies, le geste excusé des premières disputes et le geste violent du dernier instant. Déployé sous nos yeux, le geste se montre et se dit dans une infinité de variations, soutenu par des comédiens saisissants de vérité. Un soir, Liam croise la route de Rachida Hammad, elle lui tient la porte de sa tour HLM du Plessis, il lui demande quelques euros, venu sans rien de Châteauroux. Ils s’échangent leurs numéros, s’invitent au Starbucks, se ruinent en machiatto, il est perdu et sans travail, elle est étudiante et musulmane, ils se font du pied par accident. Au même moment Annie Bardel rate son RER, et du même coup son ultime rendez-vous à la Tour Abeille du 13ème pour obtenir un HLM. Sur le quai, elle déprime et rencontre Pascal Frontin, photographe égaré en banlieue, alors préoccupé par un bagage qu’il juge suspect. Ils paniquent, décident d’appeler la police, de crier au prochain RER de ne pas s’arrêter, ensemble ils ont leur première émotion forte. Tour à tour, les personnages devenus couples enchaînent les situations et les rendez-vous, jusqu’au moment de l’emménagement, déclencheur annoncé d’un cataclysme inévitable.

De l’échec du montage d’un meuble de TV Ikéa finalement fracassé par Liam joué par Maxime Lévêque bouillant de colère, la violence monte peu à peu et s’infiltre magistralement dans le quotidien. Tout dans les attitudes des personnages est précis et les comédiens sont surprenants tant leurs réactions semblent spontanées. Gérard Watkins parvient à créer une ambiance sonore et lumineuse inquiétante qui marque l’espace des émotions des personnages encore longtemps après leurs passages, notamment des femmes. Car c’est surtout les émotions et la détresse des femmes qui attirent l’attention du public aussi surpris qu’elles d’assister à un tel déploiement de violence. Plus les scènes s’enchaînent et plus les femmes et les hommes semblent se regrouper dans l’espace. Prostrées dans le lit conjugal, Rachida et Annie, jouée par Julie Denisse incroyablement drôle et touchante dans son rôle, se rapprochent sur scène dans l’isolement et le rejet sans savoir qu’elles vivent la même douleur. Pour les bourreaux, « une femme en principe c’est heureux » donc forcément, ce sont elles qui ont un problème. Habilement enfermées dans la culpabilité, elles deviennent des victimes et acceptent l’impensable jusqu’à l’ultime douleur, celle qui leur fait frôler la mort, l’ultime geste qui tue le bébé porté par Rachida, l’ultime chute d’Annie fracassée de toutes parts qui pense à sauver ses enfants de l’image qu’elle leur renvoie.

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© Alexandre Pupkins

En à peine deux heures, Gérard Watkins écrit l’histoire de la violence conjugale, il dévoile ses mécanismes et les signes qui ne trompent pas sans jamais caricaturer ses personnages tombés dans le cercle de la violence banalisée. Il parvient avec beaucoup d’habilité à montrer les failles du système judiciaire pour lutter contre ce type de violences et dans une dernière scène de thérapie de groupe bouleversante, les personnages disent en avoir fini de rejouer leurs souvenirs de violences conjugales. Comme si la frontière entre le personnage et l’acteur n’existait plus, Annie nous salue et nous remercie pour le travail qu’elle a fait avec nous ce soir. Avant d’être une fiction, la violence est réelle, Scènes de violences conjugales peut alors prétendre être non seulement une leçon de théâtre, mais une véritable invitation à lutter contre le geste violent, et le mot qui l’accompagne.

 

 

 

Scènes de violences conjugales,

Texte et mise en scène Gérard Watkins

Avec Hayet Darwich, Julie Denisse, David Gouhier, Maxime Lévêque, Yuko Oshima

 

Du 11 novembre au 11 décembre 2016

 

Théâtre de la Tempête

Cartoucherie

route du Champ-de Manœuvre

75012 Paris

www.la-tempete.fr