Inspirée du témoignage de Pierre Seel, ce glaçant spectacle de marionnettes sur table illustre l’expérience d’un jeune homme homosexuel déporté pendant la seconde guerre mondiale.
Pas une phrase, pas un mot pour dire l’horreur des camps de concentration : seulement la puissance évocatrice des images et les bruits froids des alentours. Silence. Pour contrer l’isolement et la persécution, le jeune homme rêve de son premier amour. Sur la toile de ses souvenirs, les animations en stop-motion accompagnées par la musique de Debussy viennent adoucir le quotidien. Mais dans cette atmosphère cruelle, même les souvenirs se trouvent brisés, déchirés, broyés par les mains des nazis – ces mains blanches qui, dans la pénombre, humilient et torturent le déporté au triangle rose. Comme la marionnette est l’objet des marionnettistes, le jeune homme est le jouet des nazis : la représentation est saisissante par la pertinence de cette métaphore terrible.
Sans jamais tomber dans la facilité d’un sensationnalisme déplacé, le spectacle parvient à nous plonger dans l’angoisse et la solitude glaciales de ces victimes souvent oubliées et réduites au silence : la déportation des personnes homosexuelles n’a pas été considérée comme crime contre l’humanité en raison des lois de pénalisation de l’homosexualité, qui n’ont été abrogées en Allemagne qu’en… 1969. En France, il aura fallu attendre 2001 pour que soit publiquement reconnue l’existence de cette sombre partie de l’Histoire.
C’est avec une grande délicatesse que les deux marionnettistes illustrent la réalité de cette période: la violence est suffocante, mais sans complaisance, jamais ostentatoire, jamais obscène – si ce n’est de cette obscénité inhérente aux tortures perpétrées. Toujours, l’espoir subsiste à travers les animations, qui offrent quelques instants de soulagement – la destruction n’en est que plus brutale.
Ainsi, ce spectacle accomplit la rare prouesse, au regard d’un sujet si difficile, de conserver un équilibre parfait qui seul permet l’émergence d’une réflexion honnête et d’émotions sincères, bien éloignées de tout mécanisme théâtral galvaudé. Quand les mots échouent à dire assez justement l’Histoire, laissons la force des images se faire parole d’hommage. Voilà ce que peut être du grand art de marionnette : celui qui suscite une empathie considérable à travers des objets ; celui, aussi, qui sait faire songer à l’actualité sans même la nommer, en se saisissant de la substance la plus universelle de l’Histoire. Bravo.
Informations pratiques
Mise en scène
Andy Gaukel
Avec
Andy Gaukel et Myriame Larose
Dates
Du 25 au 29 mai 2017
Durée
55min
Adresse
Mouffetard – théâtre des arts de la marionnettes
73 rue Mouffetard
75005 Paris
www.theatredelamarionnette.com