Un article d’Irène Le Goué
Une orchestration virtuose
Au Nouveau Théâtre de Montreuil, la création de Mathieu Bauer révèle la maîtrise de son objet fétiche : le théâtre musical. En portant à la scène Shock Corridor pour les douze comédiens et comédiennes sortant du TNS, l’artiste musicien compose une partition aux multiples portées.
© Jean-Louis Fernandez
Au premier plan, le cinéma, avec l’adaptation du film de Samuel Fuller sorti en 1963. Un journaliste simule un désir incestueux afin d’être interné dans un hôpital psychiatrique et résoudre le meurtre d’un patient. Alors qu’avance son enquête, la cohabitation prolongée avec ceux que la société américaine a rendu fous et le traitement aux électrochocs feront doucement vaciller sa raison.
Autour de cette fable rejouée au plateau s’invitent et s’élèvent tour à tour plusieurs voix : celle du réalisateur Fuller lui-même, superbement interprété par Maud Pougeoise, qui commente le tournage et raille le cinéma hollywoodien en défendant fermement son anticonformisme. Celles des acteurs de second plan de son film, ensuite : Larry Tucker, James Best, Chuck Roberson. Shock Corridor est aussi l’occasion de rendre hommage aux immenses carrières de ces hommes de l’ombre.
L’intrigue initiale est ainsi ponctuée de ruptures, qui n’empêchent en rien la tenue en haleine des spectateurs. Au contraire, la distanciation est judicieuse : on se régale des multiples digressions qui affûtent le regard du public au fil du spectacle. Un élément de la vie de Fuller mis en lumière, la revendication narcissique d’un acteur de second plan sont l’occasion de parties solos pour les excellents jeunes comédiens et comédiennes. Les changements de décor à vue participent au rythme endiablé de l’ensemble : un lit d’hôpital basculé sur le chevet symbolisant en un clin d’œil l’inaccessible bureau de dépôt de plainte, un cadre placé devant un visage, une télévision. L’hôpital psychiatrique rassemble une belle choralité qui danse, chante, joue et délire, toujours avec justesse. Le ton devient dramatique quand les internés tiennent de grands discours à dimension politique, reflétant les grands thèmes de l’Amérique des années 60 : communisme, bombe atomique, ségrégation raciale. Et ça bascule d’un genre de cinéma à l’autre, passant du réaliste au burlesque avec d’excellentes scènes d’humour physique, visuel et poétique, jusqu’à la comédie musicale !
Les comédiens et comédiennes sont impressionnants de précision dans leur engagement total. Sur le plateau en continu, ils dégagent une énergie vibrante et excellent aussi bien en pleine lumière et adresse au public qu’au service de l’image, en figuration, toujours habités de la petite folie intérieure de leur personnage. Avec cette composition inventive et généreuse, truffée de détails et de références, mêlant cinéma, théâtre et musique, le metteur en scène offre une belle partition à ses acteurs.
Le montage est virtuose et captivant, soutenu par une bande originale jouée comme un ciné-concert : en fond de scène, en bordure de projecteurs, Mathieu Bauer et Sylvain Cartigny, les grands orchestrateurs de ce spectacle, s’amusent comme des fous sur leurs instruments.
© Jean-Louis Fernandez
Shock Corridor
Adaptation, mise en scène et scénographie : Mathieu Bauer
Collaboration artistique et composition : Sylvain Cartigny
Dramaturgie : Thomas Pondevie
Son : Auréliane Pazzaglia
Lumière : Stan-Bruno Valette, Marie Bonnemaison
costumes : Léa Perron
plateau et accessoires : Laurence Magnée
décor réalisé par les ateliers du TNS
avec Youssouf Abi-Ayad, Éléonore Auzou-Connes, Clément Barthelet, Romain Darrieu, Rémi Fortin, Johanna Hess, Emma Liégeois, Thalia Otmanetelba, Romain Pageard, Maud Pougeoise, Blanche Ripoche, Adrien Serre
Jusqu’au 4 février 2017
Durée : 1h45
Au Nouveau Théâtre de Montreuil
Salle Maria Casarès
63 rue Victor Hugo
93100 Montreuil
http://www.nouveau-theatre-montreuil.com