« SOLITAIRE » et « POUSSIÈRE » de Lars Norén, ou la force de rester vivants jusqu’à la mort

Dans ces dernières pièces, écrites en 2017 et 2018, et rééditées aux éditions de l’Arche, Lars Norén, qui se disait attendre la mort – il décèdera le 26 janvier 2021 – nous livre avec une ironie quasi chirurgicale deux pièces qui plongent dans l’absurdité de nos vies et de nos morts ; celles que l’on observe ou que l’on traverse et qu’on finit par oublier. Par son théâtre poétique, ses visions vives et délicates, il nous met face à l’essentiel.

Des numéros dans Solitaire et des chiffres dans Poussière se parlent, s’invectivent, se lancent platitudes, non-sens et évidences plus ou moins crues dont la succession apparemment aléatoire ouvre les brèches idéales pour l’irruption du rire et la sensation de goûter à quelque vérité profonde. Les bouches émettent mais ne s’écoutent pas, ou à peine, finissent par se répondre, parfois, avec un temps de latence dérangeant. La durée n’existe plus. Des numéros ou des lettres sur lesquelles l’identité ne peut s’étiqueter facilement mais dont on sent bien qu’ils et elles n’auraient jamais dû se retrouver ensemble à commenter leurs vies et leurs morts dans ces espaces hors du temps.

Dans Solitaire, dix personnes sont collées les unes aux autres, incapables de se souvenir de comment, ni de pourquoi elles se sont retrouvées dans cet espace lugubre, exigu, et sans paroi. Comment répondre à cette captivité absurde ? cette antichambre de la mort ?

Dans Poussière, onze vacanciers se retrouvent face à la mer et interrogent très rapidement la fiabilité de leurs mots et de leurs souvenirs. Dans l’humour ou la naïveté comme dans la cruauté, ils parlent sans filtre. Comment des personnes aussi malades peuvent-elles sembler aussi banales ? Elles deviennent alors le reflet de nos propres lâchetés et absurdités.

L’improbabilité de ces juxtapositions d’idées nous touche à des endroits insoupçonnés, mis de côté, oubliés, eux aussi. L’incertitude narrative permet d’y projeter nos angoisses, nos obsessions, nos colères, nos espoirs et nos désillusions sous une plume nonchalamment cynique. C’est une bataille constante entre le rejet et l’adhérence, le rire et l’indignation.

Les deux pièces laissent la sensation d’une surface de vie calme et chlorée, perturbée par une tempête de violences et de petites vérités noires. C’est horriblement beau.

Comment réagir face à cette précipitation d’évidences et d’angoisses dont on préférerait s’abriter ? Comme Lars Norén le disait lui-même : « lorsqu’on est devant la scène, on est obligé de regarder. »

« Est-ce que nous ne pouvons pas parler d’autre chose ? Je pose la question en toute humilité. » extrait de Poussière.

Informations pratiques

Auteur(s)
Lars Norén

Prix
18 euros

L’Arche Éditeur
www.arche-editeur.com