« Tartuffe », de Molière, mise en scène de Luc Bondy aux Ateliers Berthier (reprise)

Article d’Ondine Bérenger

Le jeu d’échecs du faux dévot

Riche maison moderne, décorée de trophées de chasse, avec un sol en damier qui attire le regard comme une illusion d’optique. La famille d’Orgon prend son petit-déjeuner tandis que le public achève de s’installer, puis les lumières s’allument sur le plateau.
Première spécificité de la mise en scène de Luc Bondy, qui annonce d’ores et déjà le fil conducteur de la pièce : c’est un épisode de vie sans rupture du réel, et dans lequel on entre avec d’autant plus d’aisance que l’exercice est naturel. La maisonnée d’Orgon est agitée par ce Tartuffe que l’on attendra durant plus de deux actes, et qui captive tant le maître susnommé et sa mère, Madame Pernelle (savoureuse Christiane Cohendy).

tartuffe_thierry_depagne_1© Thierry Depagne

La distribution – en partie revisitée depuis la première création de la pièce en mars 2014 – est excellente : en particulier, Audrey Fleurot incarne une Elmire charismatique et distinguée aux côtés de Samuel Labarthe, très juste et naturel Orgon en costume-cravate. Avec eux, Chantal Neuwirth nous fait voir une Dorine aussi amusante qu’attachante, dont la présence sur scène fait aisément passer l’attente du personnage éponyme de la pièce. Finalement, arrive le fameux Tartuffe, incarné par le souple et félin Micha Lescot, pieds nus, mal rasé, cheveux plaqués sur la tête, et pourtant étonnamment fascinant par sa présence remarquable, presque outrancière. Et dès lors, on ne voit plus le temps passer sur l’échiquier du faux dévot et d’une famille en crise.
C’est ce qui fait le charme de la mise en scène de Luc Bondy : loin des représentations habituelles d’un Tartuffe classique qui peut sembler désuet, c’est ici toute la modernité, et donc l’intemporalité du texte de Molière qui se fait jour. La structure versifiée n’est en rien un obstacle à la justesse de la pièce. Seul le personnage de Marianne (Victoire du Bois), en adolescente résolument contemporaine, laisse apparaître un certain décalage parfois malheureux vis-à-vis du texte.

tartuffe_thierry_depagne_2© Thierry Depagne

Désormais, Orgon n’est plus ce bourgeois perdu, ou bêtement pieux, ou homosexuel refoulé comme on le lit souvent. C’est un homme d’affaires moderne qui a ses faiblesses, entiché sans raison d’un mystificateur, parce que cela arrive, parce que c’est la vie. Il l’a dans la tête et ne peut s’en défaire, et cela fait voler en éclat sa famille, une famille normale, avec ses blessures et ses non-dits, qui vit sa vie au milieu d’un théâtre, qui sera troublée pour un temps, jusqu’au deus ex machina final, puis qui continuera à vivre sous les yeux des spectateurs…
Une très belle mise en scène, donc, qui prouve à qui en doute que le théâtre classique jamais ne tombe en désuétude, mais reste éminemment vivant et actuel.

 

Tartuffe
de Molière
mise en scène Luc Bondy
Collaboration à la mise en scène Marie-Louise Bischofberger Bondy
Conseiller artistique Vincent Huguet
Assistante à la mise en scène Sophie Lecarpentier
Scénographe Richard Peduzzi
Assistants décor Clémence Bezat
Costumes Eva Dessecker
Lumières Dominique Bruguière
Assistante Lumières Cathy Pariselle
Maquillages/coiffures Cécile Kretschmar
Souffleuse Nikolitsa Angelakopoulou
avec Christiane Cohendy, Victoire Du Bois, Audrey Fleurot, Laurent Grévill, Nathalie Kousnetzoff, Samuel Labarthe, Yannik Landrein, Micha Lescot, Sylvain Levitte, Yasmine Nadifi, Chantal Neuwirth, Fred Ulysse, Pierre Yvon

du 28 janvier au 25 mars 2016

Ateliers Berthier
1 rue André Suares
75017 Paris
http://www.theatre-odeon.eu/fr