« TCHAÏKA », un labyrinthe de miroirs sur la figure de l’actrice

Tchaïka, mise en scène Natacha Belova, Tita Iacobelli © Michael Gálvez

On a rarement vu une pièce aussi intelligente, folle et maîtrisée que la dernière création des Belova-Iacobelli. Après Loco, qui racontait avec douceur et humour la chute dans la folie d’un simple fonctionnaire, Tchaïka – « mouette » en russe – creuse à nouveau l’idée d’une manipulation schizophrène, questionnant la place de la manipulatrice. La référence à la célèbre pièce de Tchekhov est présente dès le départ, et devient le symbole des épreuves et des troubles de la vie d’une artiste. Tchaïka, une vieille actrice sur le départ, pense qu’elle est venue faire ses adieux à un public qui l’adore. Une voix – celle de Tita, sa manipulatrice – lui dit pourtant qu’elle doit jouer La Mouette, et qu’étant trop vieille pour le rôle iconique de Nina, elle sera de facto Arcadina, elle aussi actrice sur le déclin et mère de Konstantin, le protagoniste romantique.

Mais très vite, les conditions de la pièce sont elles-mêmes remises en cause : le minimalisme de la scénographie, l’absence d’autres acteurs, la présence d’éléments abstraits prennent le sens d’une modernité étrangère à l’actrice, mais, plus inquiétant encore, de signes d’un délire plutôt que d’une pièce. A l’instar d’Arcadina, Tchaïka apparaît comme le fantôme d’un théâtre qui n’est plus l’esthétique dominante, et qui craint sa disparition dans une sorte de une mort spirituelle. Loin d’être une simple relecture de La Mouette, le spectacle prend plutôt des airs de commentaire, à la fois sur la pièce, mais aussi sur la place plus globale de l’actrice et de ce qu’on en attend.

Car le spectacle est hanté de ces figures exaltées que le temps a rangé au grenier, dans un coin de sa tête. Entre les codes de la marionnette et de l’effigie, Tita Iacobelli se livre à un jeu risqué de transgressions, qui accomplit l’exploit d’être à la fois compréhensible et agréable ; c’est-à-dire d’être vivant et ludique plutôt que simplement intellectuel. Konstantin est réduit à un nounours capricieux, Trigorine, à un livre et Nina, à un foulard volage. Bien sûr, ce ne seraient que babioles et effets personnels sans le jeu magistral de Tita Iacobelli, qui brouille les seuils entre participation volontaire et hallucination, faisant de Tchaïka la victime tout autant que l’agente de son autodestruction.

Loin d’en être la fin, cette annihilation de soi par ses propres personnages étend le concept en y faisant rentrer la manipulatrice, dont le rôle évolue encore une fois : d’abord confidente, souffleuse, guide au service de la vieille femme confuse, elle en devient l’élève en prenant la figure de Nina. Une transmission paradoxale, permise par une technique experte, tant l’actrice partage avec son double : ses jambes, sa main, son visage… Ultime renversement, où la marionnettiste se détache suffisamment de son pantin pour s’y confondre.

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Tchaïka, mise en scène Natacha Belova, Tita Iacobelli © Michael Gálvez

Informations pratiques

TCHAÏKA – Compagnie Belova – Iacobelli
Festival Marto du 11 au 25 mars 2023

Mise en scène
Natacha Belova, Tita Iacobelli

Avec
Tita Iacobelli
Scénographie Natacha Belova
Création lumière Gabriella González, Christian Halkin
Création son Gonzalo Aylwin, Simon González

Dates
22 mars 2023 au Théâtre Châtillon Clamart , Clamart (92)
31 mars 2023 au Chai, Capendu (11)

Durée
1h

Adresse
Théâtre Châtillon Clamart
22, rue Paul Vaillant Couturier
92140 Clamart

Informations complémentaires

Théâtre Châtillon Clamart
theatrechatillonclamart.com

Compagnie Belova – Iacobelli
dev.belova-iacobelli.com