"LA TEMPÊTE" un peu tiède de Robert Carsen, sous le crâne de Prospero

En France, on le connaît surtout comme metteur en scène d’opéra, pour maintes créations présentées au festival d’Aix-en-Provence ou à l’Opéra de Paris. C’est maintenant dans la salle Richelieu de la Comédie-Française que Robert Carsen vient – pour la première fois chez nous – monter du théâtre. Il nous propose une vision très psychologique de La Tempête de Shakespeare, dans laquelle on reconnaît aisément sa patte ainsi que celle de son scénographe, Radu Boruzescu.

« Tout se passe dans le cerveau d’un homme », celui de Prospero, ancien duc de Milan destitué par son frère douze ans plus tôt, vivant dans le traumatisme du pouvoir perdu et la soif de vengeance. Alors, lorsque le navire des usurpateurs passe près de l’île qu’il contrôle et habite avec sa fille Miranda, Prospero déclenche une tempête qui fait s’échouer le vaisseau et met en œuvre sa vengeance…

Plutôt que de mettre en avant les occurrences surnaturelles du récit, Robert Carsen choisit de les interpréter comme les manifestations de la tempête intérieure de l’ancien duc. C’est donc dans un espace blanc et vide, entre hôpital psychiatrique et lieu symbolique, intime, représentation d’un cerveau où les souvenirs défilent de manière inquiétante, que se déroule le spectacle. Entre les ombres des personnages projetées, immenses, le long des murs et les vidéos sobres et mystérieuses de la mer ou des souvenirs de Prospero, la scénographie possède une esthétique marquée où se voient de belles images, mais suscite, en même temps, un léger sentiment de malaise. On regrette un peu de perdre, par cette vision froide et austère de la pièce, une bonne part de sa poésie, de sa fantaisie, de sa magie… L’épuration est trop lisse, trop vacante. Heureusement, les deux derniers actes, traités de manière plus vivante et par des mécanismes plus originaux, redonnent de l’énergie à cet ensemble ankylosé, avec des projections impressionnantes à la limite de la 3D et la rupture très bien étudiée – pour le coup, formellement shakespearienne – du quatrième mur.

Concernant l’interprétation, on déplorera également une direction d’acteurs ultra-classique, là où le reste de la mise en scène aurait précisément laissé espérer autre chose. Bien sûr, les comédiens-français maîtrisent leur art, mais la diction qu’on leur impose est souvent assez déclamatoire… pourquoi enterrer les mots sous une couche de poussière qui n’est pas la leur ? Malgré cela, Michel Vuillermoz parvient à s’illustrer dans le rôle de Prospero grâce à l’aura qu’il possède sur scène, et dont il sait faire usage, de même que Christophe Montenez, troublant Ariel à la présence aérienne et mystérieusement séduisante. Enfin, on ne peut pas ne pas évoquer le trio Stéphano-Trinculo-Caliban (respectivement Jérôme Pouly, Hervé Pierre et Stéphane Varupenne) qui nous fait vivre quelques scènes exquises, certainement les plus réussies du spectacle, avec entrain et force comique à toute épreuve, ainsi qu’une inventivité poussée dans les détails. Mais hormis ces personnages, les autres sont, hélas, trop plats pour être attachants ou remarquables…

C’est donc un sentiment en demi-teinte que nous laisse cette mise en scène de La Tempête, et l’on reste un peu sur sa faim car il semble que Robert Carsen ne soit pas vraiment allé tout au bout de sa proposition, pourtant loin d’être inintéressante. Sans doute, l’on en attendait davantage de la part de celui qui signe de si brillantes mises en scène d’opéra… La prochaine fois, peut-être ?

Informations pratiques

Auteur(s)
William Shakespeare
traduit par Jean-Claude Carrière

Mise en scène
Robert Carsen

Avec
Thierry Hancisse, Jérôme Pouly, Michel Vuillermoz, Elsa Lepoivre, Loïc Corbery, Serge Bagdassarian, Hervé Pierre Trinculo, Gilles David, Stéphane Varupenne, Georgia Scalliet, Benjamin Lavernhe en alternance avec Noam Morgensztern, Christophe Montenez, Matthieu Astre, Robin Goupil, Alexandre Schorderet