Après avoir été présentée à Broadway puis à Londres, la dernière création de Deborah Warner est portée sur les planches du Théâtre de l’Odéon par Dominique Blanc, seule en scène.
En tenue d’icône rouge et bleue, enfermée dans une vitrine de plexiglas au milieu des bougies allumées, elle voit déambuler les spectateurs sur le plateau. Finalement, chacun regagne sa place, et voilà Marie quittant ses atours de statue et l’atmosphère solennelle des églises pour se livrer à nous dans un décor devenu presque vide. Désormais, elle n’est plus la femme sainte conçue sans péché, mais la mère humaine ayant perdu son fils. L’histoire qu’elle nous raconte est bien éloignée des récits évangéliques : les miracles sont incertains, le fils est un manipulateur, les apôtres de jeunes « désaxés »… Contrite de douleur, retirée à Ephèse après la crucifixion de son enfant, son témoignage offre un regard nouveau sur les histoires célèbres de la résurrection de Lazare ou des noces de Cana. Certains pourraient voir, sans doute, dans cette irréverrence envers les Ecritures, une certaine provocation ; nous n’y trouverons que des interrogations et une profonde humanité.
A travers ce texte, Colm Toibin donne une voix à celle que l’histoire biblique a réduite au silence, offrant à cet écrit fondateur une toute nouvelle dimension. Epuré de son aspect mystique, il nous apparaît comme plus sensible, plus juste – plus vrai, pourrait-on dire. A cet égard, Dominique Blanc incarne à la perfection le personnage tourmenté de Marie : quand la « mère de la miséricorde » devient la mère de l’affliction et de la culpabilité… Toutefois, on regrettera la légère surenchère anecdotique de la mise en scène : si l’intrusion de la vie quotidienne dans un tel récit permet de le rendre plus touchant et proche de nous, il n’est peut être pas pour autant nécessaire de contraindre Marie à tant s’affairer… De la même manière, le texte s’encombre par moments de contingences inutiles qui lui créent quelques longueurs, notamment dans la première partie.
© Ruth Walz
Cependant, on ne manquera pas de se laisser gagner par l’émotion à mesure qu’approche le récit de la mort du fils fugueur. Comment résister au désaroi de celle qui, malgré son témoignage pour la postérité, a abandonné son fils encore vivant sur la croix ? Comment ne pas être saisi par la douleur, l’imperfection, l’humanité de cette mère projetée malgré elle dans le tourbillon de l’Histoire ? Si à ses yeux, cette tragédie censée sauver l’humanité « n’en valait pas la peine », pour notre part, nous pouvons dire : l’entendre, cela en valait la peine.
Informations pratiques
Auteur(s)
Colm Toibin
traduction Anna Gibson
Mise en scène
Deborah Warner
Avec
Dominique Blanc, de la Comédie-Française
Dates
Du 5 au 3 juin 2017
Durée
1h20
Adresse
Théâtre de l’Odéon,
Place de l’Odéon,
75006 Paris