« THÉÂTRE, 2011-2015 (VOL. 1) », à travers son œuvre théâtrale, Tiago Rodrigues voyage en toute liberté dans l’espace littéraire

Tristesse et joie dans la vie des girafes
Trois doigts au-dessous du genou
Entre les lignes
Antoine et Cléopâtre
Bovary
Iphigénie
Agamemnon
Électre

« Le théâtre, c’est autre chose. Le théâtre existe vraiment. C’est une chose réelle qui se passe sous nos yeux. »

Ce pourrait être une citation de Tiago Rodrigues. En tout cas, elle est extraite d’un de ses textes, intitulé Trois doigts au-dessous du genou et présent dans le recueil Théâtre, 2011-2015 (vol.1) publié par Les Solitaires Intempestifs en mars 2023. Pourtant, elle n’est pas directement de l’auteur portugais : elle est extraite d’un rapport de censure théâtrale écrit par le Secrétariat national de l’information, de la culture populaire et du tourisme, entre 1933 et 1974. La dictature fasciste au Portugal a en effet été particulièrement hostile au théâtre et Tiago Rodrigues a ainsi réalisé un collage entre ces extraits de rapports et les plus belles pages du répertoire dramatique mondial, censurées à l’époque. Comme une revanche sur l’histoire et une célébration du théâtre – et plus généralement de l’espace littéraire – comme un espace de liberté.

C’est une des lignes de force de l’œuvre de l’homme de théâtre, acteur, dramaturge, metteur en scène et producteur portugais, qui a été à la tête du Teatro Nacional Maria II à Lisbonne de 2015 à 2021, avant d’être nommé directeur du Festival d’Avignon à partir de l’édition 2023. Cette réflexion sur le pouvoir de la littérature est notamment très présente dans sa pièce By Heart (Apprendre par cœur) absente du recueil, mais également publiée par Les Solitaires Intempestifs en 2015. La même année sortait aussi Bovary, adaptation libre du procès intenté à Gustave Flaubert en 1857, et montage de textes entre le réquisitoire et la plaidoirie du jugement, le roman Madame Bovary et la correspondance de l’auteur avec Élisa Schlesinger. Le dramaturge s’attache ainsi à (re)mettre en scène des personnages ou des figures de l’histoire littéraire et théâtrale en reconvoquant les histoires qu’ils portent en eux et avec eux.

Il en va ainsi pour Antoine et Cléopâtre, immortalisés en particulier dans l’œuvre éponyme de William Shakespeare, mais dont Tiago Rodrigues cherche ici à retranscrire l’aventure intime, Cléopâtre se voyant et se révélant à travers le regard d’Antoine et réciproquement. Il semble que ce qui importe pour l’auteur, ce ne soit pas tant la recherche de nouvelles histoires pour le principe de la nouveauté, que la volonté de trouver une manière à la fois actuelle et personnelle de convoquer ces histoires du patrimoine littéraire aujourd’hui, et d’en extraire leur part de contemporanéité et d’universalité. Ainsi, alors que Tristesse et joie dans la vie des girafes nous emmène sur les pas d’une grande (sa mère lui a même donné le nom de Girafe !) fille de neuf ans qui va de rencontre en rencontre sur le modèle d’un voyage initiatique à travers une Lisbonne dévastée par la crise économique, Tiago Rodrigues convoque notamment Anton Tchekhov qui aidera Girafe dans sa quête et lui dira : « Un jour, j’ai fait un travail sur une mouette, mais ce n’était pas tout à fait sur une mouette. C’était sur les choses qui me touchent, qui m’irritent, et que je trouve importantes. C’est la seule chose qui m’intéresse. Ton travail peut parler des girafes mais il ne faut pas qu’il soit sur les girafes. Il faut qu’il soit sur les choses importantes pour toi. Qu’est-ce qui est réellement important pour toi ? »

Ce travail de l’homme de théâtre lisboète va jusqu’à convoquer les grandes figures du théâtre grec antique que sont Iphigénie, Agamemnon et Électre pour nous offrir une lecture à la fois actuelle et intemporelle de ces mythes. Un langage dramatique « où les mots d’un autre âge étreignent ceux d’aujourd’hui, où l’attention portée à la parole des défunts est aussi vive que la volonté de s’adresser aux vivants » comme il l’écrit lui-même en avant-propos. L’Œdipe roi de Sophocle va même se glisser « entre les lignes » de la pièce éponyme présente dans le recueil, et en tisser une des trames narratives : dialogue une fois de plus entre l’espace littéraire, l’espace théâtral et notre monde contemporain dans le travail de Tiago Rodrigues.

Informations pratiques

Auteur(s)
Tiago Rodrigues
Textes traduits du portugais (Portugal) par Thomas Resendes et Thomas Quillardet pour
Tristesse et joie dans la vie des girafes

Prix
21 euros

Éditions Les Solitaires Intempestifs
www.solitairesintempestifs.com