Lorsque le rideau tombe à la fin du spectacle, trois artistes se retrouvent soudain happés, pour un instant suspendu et dilaté, dans la nuit du théâtre. Là, dans l’obscurité sur laquelle veille cette lampe que l’on nomme « servante », s’animent les fantômes du passés et de l’imaginaire, du fantasme et de la poésie.
Hommage au « théâtre d’animation » inventé par Georges Lafaye dans les années d’après-guerre – et qui contribua à faire de la marionnette un art pour adultes – Trace.s est un voyage silencieux dans un monde abstrait, fait de formes dansantes, de silhouettes, de figures phosphorescentes, de lettres et de mots sans texte et sans parole. Avec une technicité sans accroc, les marionnettistes se font tantôt chercheurs, tantôt enfants-acteurs jouant avec leurs objets, tantôt fantômes eux-mêmes, disparaissant pour faire naître des présences étranges et poétiques. Ce n’est pas un récit, pas une histoire : c’est un tableau en mouvement dans une temporalité déformée, une succession d’images belles et drôles et dont le sens ne se dévoile qu’à l’aune de l’imagination.
Créé à partir du manque d’âme éprouvé par les créateurs face aux fonds documentaires incomplets laissés par « l’Einstein de la marionnette », le spectacle se veut un prolongement du geste de l’artiste et une réflexion sur le langage du théâtre d’objets. Ainsi, pour entrer dans la représentation, il faut accepter de perdre ses repères, cesser de chercher des limites définies, et se laisser séduire simplement par ces jeux d’ombres et de clarté où bien vite la magie semble remplacer les gestes techniques invisibles des manipulateurs : le langage marionnettique n’est pas celui des hommes. Il est plus palimpseste et plus métaphorique, infiniment moins cartésien que notre langue quotidienne. Ici, tout est possible : des lettres se mettent en lumière seules pour faire sens, tandis qu’un étonnant bonhomme-bâton tout vert devient la personnalité la plus vivante de la salle. Avec ses ressorts d’idées drôles et touchantes, Mathieu Enderlin réussit le pari de créer une œuvre qui puisse parler à tous, enfants comme adultes, d’une manière à la fois très personnelle et malgré tout universelle – pourvu qu’on accepte de l’écouter. Un très beau moment à passer au Théâtre du Mouffetard.
© Jean-Yves Lacôte / © TMN
Informations pratiques
Conception et mise en scène
Mathieu Enderlin
Assistante mise en scène
Yasuyo Mochizuki
Avec
Mathieu Enderlin, Thomas Cordeiro, Laure Lefort
Scénographie
Cerise Guyon
Photos
Jean-Yves Lacôte et Théâtre aux Mains Nues
Dates
Du 14 au 23 mars 2019
Durée
1h
Adresse
Le Mouffetard – Théâtre des Arts de la Marionnette
73, rue Mouffetard
75005 Paris
Informations complémentaires
lemouffetard.com