Trois pièces de Ian De Toffoli sont ici réunies : Terres Arides, Tiamat et Confins. Elles traitent toutes les trois de notre problème contemporain le plus aigu, à savoir la déshumanisation. La façon dont cet auteur luxembourgeois aborde ce sujet est assez saisissante. On le sent à la fois imprégné de toute la tradition antique et délibérément moderne.
Terres Arides a été créé en 2021, Tiamat en 2018 et Confins en 2020.
Le duché du Luxembourg a, au fil des décennies, atteint des sommets d’hypocrisie et d’efficacité économique. À la fois cœur de l’Union Européenne et paradis fiscal, il est un lieu privilégié d’observation. Une blague belge disait autrefois « Dans le BENELUX, nous sommes les benêts et eux, ils ont le luxe ! » voilà qui était clair.
Terres Arides se situe au Moyen Orient, creuset des mythes et épopées, bouillon de cultures et de légendes, de Gilgamesh à l’Énéide en passant par l’Illiade, carrefour des monothéismes et sempiternel lieu d’affrontements. Un journaliste se rend en Syrie contre l’avis de sa hiérarchie pour rencontrer un de ces jeunes jihadistes élevé au Grand-Duché, détenu dans une prison Kurde et dont personne ne se préoccupe. Le journaliste tente de démêler les bonnes raisons et les alibis à l’inaction : après tout, n’est-ce pas, il l’a bien cherché, et puis il n’est pas vraiment notre concitoyen, et puis, qui nous dit que rentré en Europe, il ne va pas fomenter des attentats ?… C’est dense, parfois ironique, souvent cruel, toujours scandaleux. Nous n’avons pas besoin de vous expliquer que, pour des personnes ayant rejoint une organisation terroriste, les droits de l’homme sont rapidement oubliés.
Tiamat se présente comme un long monologue, façon Koltès, dans lequel un homme puissant se confie à un barman, exposant en toute bonne foi son hybris exalté. Quand on a toutes les cartes en main, n’est-ce pas, pourquoi se priver ? Mais l’auteur ne nous fait pas un cours ; il nous montre un homme désireux d’acheter une statuette de Tiamat, la déesse du chaos. La métaphore fonctionne à merveille, elle permet d’exposer toutes les « forgeries » qui ont cours dans ces milieux bien informés. « Il me faut cette statuette, elle marque le début de quelque chose de nouveau… ». Je doute que ce soit si nouveau : corruption des âmes, mensonges domination ; rien de bien neuf, mais la soif est inextinguible
Confins relève de l’anticipation. Mais ce n’est que pour mieux rappeler comment l’Europe a su s’enrichir grâce aux migrants. Histoire d’un projet d’abandon de la terre trop polluée, c’est le récit croisé des épopées modestes et tragiques : Calabrais, Polonais, Portugais qui firent fructifier les mines de charbon et de fer jusqu’à ce qu’il soit plus rentable d’acheter de l’acier à la Chine. D’autres exilés frappent à la porte, mais on n’a plus besoin d’eux, alors, forcément, on rétablit les frontières abolies et le projet européen en prend un sacré coup. Cette fois, ce sont les riches qui partiront, pour conquérir une autre planète jusqu’à ce qu’elle en crève, elle aussi.
Monter ces trois pièces en intégrale, comme le fit Wajdi Mouawad avec « Le Sang des Promesses » rencontrerait, j’en suis sûre, l’enthousiasme du public.
L’écrivain et dramaturge Ian De Toffoli © Philippe Matsas
Informations pratiques
Auteur(s)
Ian De Toffoli
Prix
16 euros
Éditions L’Espace d’un instant
parlatges.org