« Ubu », conception artistique d’Olivier Martin-Salvan au Théâtre des Bouffes du Nord.

Article de Céline Coturel

 

Le Père Ubu, un gymnaste sur la butte 

 

Père Ubu est un tyran sans grâce et sans justice, qui oblige ses soldats à répéter des pas de gymnastique rythmique au son creux d’un synthétiseur. Sautillants, blancs, rouges, jaunes ou roses, ses sous-fifres dénués de volonté s’exécutent comme des ressorts. Lui-même bariolé d’un justaucorps rouge à rayures blanches, Ubu (interprété par Olivier Martin-Salvan) est le comble de l’absurde et du « sans âme ». Cette reprise d’Ubu sur la butte d’Alfred Jarry, qui réduit sa première pièce de 1896 à deux actes, est ici traitée collectivement par les acteurs Thomas Blanchard, Robin Causse, Mathilde Hennegrave, Olivier Martin-Salvan et Gilles Ostrowsky, et portée par Olivier Martin-Salvan. Sans en avoir l’air, leur approche artistique est bourrée de références culturelles pour démystifier le personnage titre et le dénuer de psychologie. Situer l’action dans une salle d’aérobic en est le premier moteur.

© Bastien Normand

Le tatami bleu, centre de l’action, est visible de toute part, il est cerclé par le public. C’est autant de visibilité donnée que pour un match de boxe, ou le seul espace carré sert à mettre K.O son adversaire. Ubu, moins agile et plus fou qu’un joueur de boxe, retourne les tapis, se cache dessous comme dans une grotte et chevauche les plinths en mousse en guise de monture. Le décor de couleur primaire est au fond plus minimaliste qu’il n’en paraît. On a plaisir à voir se transformer en épée, en bouclier, ou en butte les rondins et les plinths, grâce à l’imagination consentante du public rieur. Car ce dernier fait aussi partie de la mise en scène, la lumière ne s’éteignant presque jamais sur lui. On observe donc les réactions, captives d’une œuvre délirante et plastique. L’action se concentre sur le roi Ubu, qui vocifère ses ordres sous forme d’onomatopées, et obtient la soumission mutique de ses pantin bicolores. Et cela fonctionne bien. La mise en scène en dit long sur le détournement de cette œuvre, et son comique n’en est que plus convaincant. Dans ce dépouillement général, on pense parfois que l’adjectif ubuesque, qui veut dire « absurde, grotesque et démesuré », est né de ce nom d’Ubu… Comme cette reprise de chanson de variété, impersonnelle et vide de sens que les personnages entonnent avec vigueur. Burlesque, gestes potache, mauvais goût assumé, on assiste à une caricature de la folie des grandeurs, à une critique aigüe de l’abus de pouvoir. Bête et bestial, l’instinct le plus bas de l’espèce humaine ressort dans cette adaptation comme étant la force centrifuge des personnages. Meurtre, viol, et soumission sont au cœur de l’oeuvre et servent d’expiatoire, de défouloir d’une société (la nôtre ?) qui va toujours mal. Au fond, on a à faire à une pièce qui résonne moins creux qu’elle n’en paraît, car elle rappelle que le pouvoir est bien souvent détenu par les plus incompétents et les plus corrompus. Un écho à la réalité trop évident ?


 

Ubu

 

Mise en scène : Création collective

Conception artistique : Olivier Martin-Salvan 

Regard extérieur : Thomas Blanchard

Scénographie et costumes : Clédat & Petitpierre

Composition musicale : David Colosio

Chorégraphie : Sylvain Riejou

Réalisation des costumes : Anne Tesson

Régie générale : Hervé Chantepie et Fabrice Guilbert

Production / diffusion : Colomba Ambroselli assistée de Nicolas Beck 

Avec Thomas Blanchard, Robin Causse, Mathilde Hennegrave, Olivier Martin-Salvan et Gilles Ostrowsky

 

Du 5 au 23 avril 2017

 

www.bouffesdunord.com