« UN SACRE » de Guillaume Poix et Lorraine de Sagazan, La danse des morts 

Un sacre, mise en scène Lorraine de Sagazan © Christophe Raynaud de Lage

Rites de passage, rituels, cérémonies… Ils accompagnent nos vies depuis la nuit des temps. Chaque civilisation a les siens, de la naissance à la mort, de la venue au monde au grand saut dans l’inconnu… Interrogation suprême engendrant des rites qui permettent aux vivants de supporter l’idée du grand départ des êtres chers. Sublimation par les croyances, les religions, mais aussi par le rêve, la création, la musique, la danse, la transe, de ce que pourrait être de ce grand voyage irréversible dont on ne sait rien. Alors, il ne reste plus qu’à empoigner le grand mystère de la mort à bras le corps pour lui faire rendre gorge, ou, mieux encore, lui faire rendre vie. Et pour ça, rien de tel que le théâtre !

C’est la réjouissante leçon que nous offre ce spectacle conçu par Guillaume Poix et Lorraine de Sagazan et la magnifique équipe, ou plutôt le « chœur » qui porte avec eux ce « Sacre », sacre de la mort sublimée, dont la vision rappelle en fulgurance un autre sacre, « Le sacre du printemps » de Stravinsky, hymne à la vie et théâtre total des sens. Théâtre total où le mot « mystère » retrouve ici son sens sacré, celui des origines du théâtre médiéval, lorsque sur les parvis, il s’échappait des églises pour s’adresser directement au public en recréant ses propres rites.

Démarche que nous retrouvons au cœur de ce spectacle, né d’une interrogation multiple, puisqu’elle s’est posée en un temps suspendu, celui du covid, lorsque, les uns après les autres, les projets artistiques se trouvaient comme débranchés et voués à la disparition… Comme un défi, en ces temps de confinement, l’équipe dramaturgique est alors partie à la rencontre des gens, histoire de retrouver « l’autre » coûte que coûte ! Beaucoup de rencontres qui ont donné vie à un grand nombre de textes dont se sont emparés avidement neuf comédiennes et comédiens; ensemble et individuellement dans un spectacle qui dépasse allègrement le paradoxe en ancrant les singularités des vies et des destins au sein d’une choralité magnifiée.

À la fois tombeau littéraire et cérémonie, le spectacle va retracer pour nous différentes destinées uniques auxquelles comédiennes et comédiens vont tenter de redonner vie au long d’un rituel aux allures d’improvisation, même si nous savons qu’il n’en est rien. Tout commence par le numéro d’une pleureuse corse survoltée qui nous fait pénétrer dans les arcanes de l’usage des larmes, canalisant et extériorisant le chagrin d’une communauté, jusqu’à devenir elle-même, par sa mort, le premier objet de chagrin de cette quête théâtrale à laquelle nous voilà conviés.

Dans l’étrange décor d’une vaste pièce vide abandonnée peut-être par les disparus, les premiers récits jailliront du chœur des comédiens, un peu à la manière des saetas, mélopées tragiques lancées à la face du ciel, au long des processions de la semaine sainte en Andalousie. Et nous verrons ainsi revivre successivement Kali, Georges, Thomas, Asma et les autres… Univers contrastés et profondément attachants. De la petite fille immigrée, gravement malade, qui meurt à l’hôpital, à Joseph qui vivait avec un cœur greffé, et sauve Thomas de la noyade avant de mourir sur le sable… De Zahia qui pardonne au père qui ne demande aucun pardon, à Georges atteint de la maladie d’Alzheimer qui demande à vivre sa mort maintenant, avant de perdre toute conscience… Des vies comme un kaléidoscope, transfigurées par la « grande magie » du théâtre…

Le théâtre où, c’est bien connu, tout est possible… Ainsi, pour satisfaire Georges qui aimerait, une fois dans sa vie, jouer les passe-murailles, il suffira de le pousser pour que le mur du fond se déchire et qu’il se retrouve dans un jardin d’Éden éternellement kitch, avant que les comédiens n’enlèvent peu à peu les lattes du plancher pour retrouver l’herbe tendre et la mousse sous laquelle reposeront les morts ; mais aussi où il sera loisible de se rouler de bonheur seul ou deux… Belle scénographie sous le signe de l’ambivalence où les acteurs incarnent leurs personnages tout en les projetant à distance, pour mieux nous rappeler que nous sommes toujours au théâtre.
Un théâtre où, sur un sujet essentiel, l’humour, le rire et la violence ont toute leur place aux côtés de l’émotion et du tragique.

Un spectacle qui amène chacun de nous à penser à ses morts d’une autre manière.
Un défi au déni de la mort de nos sociétés contemporaines, où le deuil devient une perte de temps dangereuse, dans un monde où l’on se doit d’être utile et efficace à perpétuité.  Une odyssée revigorante aux frontières de la mort et une quête de la vie jusqu’au sacre final.

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Un sacre, mise en scène Lorraine de Sagazan © Christophe Raynaud de Lage

Informations pratiques

UN SACRE – Compagnie La Brèche

Auteur(s)
Guillaume Poix et Lorraine de Sagazan

Conception et Mise en scène
Lorraine de Sagazan

Avec
Andréa el Azan ou Elsa Guedj, Jeanne Favre, Nama Queita, Antonin Meyer-Esquérré,
Majida Ghomari, Louise Orry-Diquero, Mathieu Perotto, Benjamin Tholosan, Eric Verdin
Chorégraphie Sylvère Lamotte
Dramaturgie Agathe Charnet
Scénographie Anouk Maugin
Lumière Claire Gondrexon
Son Lucas Lelièvre
Costumes Suzanne Devaux
Assistanat à la mise en scène Thylda Barès
Régie générale Vassili Bertrand
Construction du décor Ateliers de la MC93

Dates
Du 30 mars au 9 avril 2023 au Théâtre Gérard Philipe, Centre Dramatique National de Saint-Denis

Durée
2h40

Adresse
TGP Théâtre Gérard Philipe
59, boulevard Jules-Guesde
93200 Saint-Denis

Informations complémentaires

TGP Théâtre Gérard Philipe
tgp.theatregerardphilipe.com

Lorraine de Sagazan – Compagnie La Brèche
www.lorrainedesagazan.com/la-breche/