Un article de Camille Mouterde
Les méandres du diablotin
« Pippo, il faut que tu fasses un spectacle sur les Evangiles »
Cette phrase, qui sera placé en ouverture de Vangelo, est une des dernières que la mère du comédien et metteur en scène Pippo Delbono lui dira, sur son lit de mort. Un point de départ pour des chemins très méandreux.
Le metteur en scène part de sa relation à la religion catholique, dans laquelle il a baigné toute son enfance, et de laquelle il s’est écartée pour aller vers le Bouddhisme. Il nous montre sa fascination pour Jésus, ce rebelle qui porte un message d’amour, et sa Sympathy for the Devil, ou « Compassion pour le Diable » – titre d’un morceau des Rolling Stones dont il fait référence – Diable qu’il incarne à plusieurs reprises dans des apparitions loufoques.
© Luca Del Pia
Mais Vangelo est avant tout un grand patchwork, mêlant tous types de disciplines, de la vidéo, de la musique, de la danse, du théâtre…, ainsi que des sujets qui peuvent sembler parfois aux antipodes, des textes des Evangiles aux témoignages de migrants. Entouré de ses 14 comédiens, Pippo Delbono incarne à lui seul la Sainte Trinité : il est tour à tour le Grand Marionnettiste (Le Père ?), le protagoniste principal (Le Fils ?), ou une simple voix commentant ce qui se déroule sous nos yeux (Le Saint Esprit ?).
Mais dans cette grande fresque, on a souvent du mal à voir la finalité de son propos, nous perdant dans les méandres de ces évocations, dans la variété des images et des références qu’il convoque. Tout comme « On peut tout mettre sur le nom de Dieu » – comme il nous dit dans une interview – il semble qu’il ait voulu tout mettre dans ce spectacle. Les articulations entre tous ces tableaux sont parfois très difficiles à percevoir, et quand on y parvient, celles-ci ne ne paraissent pas véritablement convaincantes. Cette pièce tente notamment de mettre notre société occidentale, et donc le public, en face de ses contradictions, notamment sur la question des migrants : après avoir parlé du message d’amour contenu dans les Evangiles, nous nous retrouvons face à la tragique réalité d’un Afghan fuyant son pays, nous contant comment il vient de perdre son meilleur ami dans la Méditerranée. Sont mises en lien sa souffrance avec notre incapacité, nous « Occident » historiquement chrétien, d’accueillir ces réfugiés. Nous sommes face à notre propre hypocrisie.
Proposition louable, rapprochement intéressant, qui n’échappent cependant pas à deux écueils.
Les images convoquées sont très explicatives et illustratives, ce qui les rendent souvent lourdes et maladroites, comme cette vidéo de mer diffusée en parallèle du récit de noyade par un migrant afghan. Par ailleurs, la façon d’aborder le sujet me paraît très moralisatrice et culpabilisatrice : nous sommes dans un entre-deux. A la fois ni assez violent, sans choc, sans provocation assumée, qui nous prendrait aux tripes et nous mettrait mal à l’aise, et à la fois sans être une évocation nuancée, qui ne serait qu’évoquée et non stabilotée, qui laisserait l’imaginaire et l’interprétation ouverts.
Errant dans les couloirs d’un hôpital lors d’un long « selfi » vidéo, puis s’enchaînant à un mur dont la lente avancée le repousse vers le bord du plateau, Pippo Delbono se met en scène dans un chemin de croix nombriliste et douloureux.
Ces évocations font beaucoup trop preuve de premier degré et manquent cruellement de poésie.
© Luca Del Pia
Vangelo,
Un spectacle de et avec : Pippo Delbono
Avec : Dolly Albertin, Gianluca Ballarè, Bobò, Margherita Clemente, Ilaria Distante, Simone Goggiano, Mario Intruglio, Nelson Lariccia, Gianni Parenti, Pepe Robledo, Grazia Spinella, Nina Violić, Safi Zakria, Mirta Zečević
Avec la participation dans le film des : réfugiés du Centre d’accueil PIAM d’Asti
Images et film : Pippo Delbono
Musique : Enzo Avitabile
Scénographie : Claude Santerre
Costumes : Antonella Cannarozzi
Lumières : Fabio Sajiz
Du 5 au 21 janvier 2017
Théâtre du Rond-Point
2 bis avenue Franklin Roosevelt
75008 Paris
http://www.theatredurondpoint.fr/