« LA VIE EST UN SONGE »  Dans l’imaginaire onirique de Clément Poirée 

Vaste étendue de neige où errent des monstres noirs. Mystérieux et inquiétant paysage de glace, image d’une Pologne fantasmée où se déroule le conte métaphysique de Calderón. Là, Rosaura vient se venger d’ Astolphe, neveu royal, qui l’a trahie et déshonorée. Là, aussi, vit Sigismond, prince enfermé depuis sa naissance dans une forteresse après que son père, le roi Basile, a lu dans les astres que son fils deviendrait tyran. Le monarque décide cependant de laisser une chance à son fils, en lui offrant le trône pour une journée au terme de laquelle, si Sigismond n’est pas bon souverain, il sera reconduit à son cachot sous narcotiques, pensant que son règne n’aura été qu’un rêve.

Pour sa première mise en scène en tant que directeur du Théâtre de la Tempête, Clément Poirée nous transporte avec brio dans une atmosphère étrange comme seule peut l’être celle des songes. A la désolation sombre du cauchemar succèdent les couleurs éclatantes d’une hallucination baroque, la farce se mêle à la tragédie parcourue d’un souffle épique ; on y trouve du burlesque, du fantastique, du mystique, du philosophique aussi. Le temps même est disjoint dans ce monde que l’on pourrait autant situer à la Renaissance qu’à la seconde guerre mondiale. Pour représenter ce conte politique et initiatique, la réussite est totale. Si la vie est un songe, dans ce royaume énigmatique d’illusions, le théâtre l’est aussi.

Cependant, comme dans un rêve qui s’efface au réveil, comme la neige, aussi, le spectacle reste froid. On se laisse porter avec un vif intérêt esthétique et intellectuel, mais l’émotion n’affleure jamais vraiment, l’on reste seulement suspendu, troublé, mais conscient de la fiction qui se joue. Ce constat n’est aucunement négatif, juste étonné, car rien, au demeurant, ne rompt ces deux heures trente de fantasme éveillé, et l’on ne s’ennuie pas une seconde.

Peut-être le parti pris de la direction d’acteurs y est-il pour beaucoup dans cette distance imposée. En effet, certains personnages, par leur caractère marqué, paraissent un peu simplistes. C’est notamment le cas d’Etoile, princesse excessivement fantoche (que Louise Coldefy interprète toutefois avec une maîtrise éclatante), et de Clothalde (Laurent Ménoret), qui semble porter comme un fardeau le poids de sa loyauté infaillible. Mais d’autre part, Makita Samba est une véritable révélation. Avec son jeu très nuancé, il est éblouissant dans le rôle de Sigismond, à la fois noble et bestial, entre grandeur philosophique et pulsions violentes, conscience et égarement. Avec lui, Morgane Nairaud est une Rosaura davantage convaincante dans ses habits d’homme que lorsqu’elle revêt ses vêtements féminins, avec lesquels elle s’affuble parfois d’un ton plaintif un peu trop expansif… Cela dit, on ne peut que saluer une telle énergie déployée pour faire vivre ce personnage complexe.

En définitive, c’est donc une réussite étonnante qui ouvre en beauté cette nouvelle saison du Théâtre de la Tempête. Pour ses débuts à la direction, Clément Poirée se montre prometteur, et d’ailleurs, le reste de la programmation est d’ores et déjà très attirant : vivement la suite !

Informations pratiques

Auteur(s)
Pedro Calderón de la Barca

Mise en scène
Clément Poirée

Avec
John Arnold, Louise Coldefy, Henri Vasselot, Makita Samba, Morgane Nairaud, Laurent Ménoret, Thibaud Corrion et Pierre Duprat

Dates
Du 15 septembre au 22 octobre 2017

Durée
2h30

Adresse
Théâtre de la Tempête
Cartoucherie de Vincennes
Route du Champ de Manoeuvre,
75012 Paris

https://www.la-tempete.fr/