« VOICE NOISE » : Porter voix et silence par des corps individuels

Voice Noise de Jan Martens © Klaartje Lambrechts

« Every sound we make is a bit of our autobiography » : cette citation de The Gender of sound de la philosophe Anne Carson est en somme le point de départ du spectacle de Jan Martens. Chacun de nos sons forme un peu de notre biographie. Voice Noise est une chorégraphie au langage nouveau, difficile à cerner, mais porteuse de la rencontre entre des corps individuels et une voix universelle.

Des pièces maîtresses du classique, deux ou trois grands noms du contemporain, de l’électro pour les plus hardi·e·s: le répertoire musical de la danse ne serait-il pas bien étroit? Jan Martens travaille à l’élargir et livre ses marottes musicales les plus personnelles dans un spectacle en forme libre. En fond de scène, un micro sur son pied que personne ne viendra toucher signifie l’anonymat auquel ont été condamnées tant de femmes dans divers courants musicaux. De la folkeuse culte Karen Dalton à l’activiste soul Camille Yarbourgh en passant par la cantatrice contemporaine Cathy Berberian, six danseur·euse·s se relaient ou s’assemblent pour dialoguer avec une sélection musicale originale. Le plateau devient un espace ouvert indéfini dans lequel regarder et écouter sont mis sur un pied d’égalité.

Malgré l’évidente qualité et grandeur de Voice Noise, sa réception n’en est pas forcément plus aisée. Tous les codes, théâtraux et chorégraphiques, auxquels les spectateur·ice·s pourraient être habitués, sont bousculés. Un plateau immense, nu de toutes coulisses, noir ; des micros, des danseur·euse·s qui jouent avec leurs voix, leurs bruits ; un support sonore qui alterne entre silence, sons, chants. Sans unisson apparente, les corps bougent, répètent les mouvements, crient, ralentissent. Le public habitué à chercher des repères peut être facilement frustré, perturbé, mal à l’aise.

Mais passée cette réception avant tout sensible, il reste une analyse esthétique lourde de sens. Car c’est justement au milieu des silences, des bruits et de l’immensité vide du plateau, que les corps prennent toute la place et que l’individualité de chacun des interprètes se révèle. Le choix de leur donner la parole appuie encore plus leur présence sur scène. Et c’est cette présente qui incarne les musiques, les chants, les cris, et le silence lui-même. Les corps semblent inventer, réinventer le langage chorégraphique, laissant aux spectateur·ice·s la réception et la découverte.

Enfin – car il est nécessaire d’aller au-delà du spectacle – la note d’intention du chorégraphe souligne l’importance du message porté. Car, au fur et à mesure que le spectacle s’enfonce encore plus dans les limites de notre inconfort, on finit par tisser au moins un lien qui unit les voix et les corps : les chansons, les voix, les paroles sont féminines. Partant toujours des écrits de la philosophe Anne Carson, Jan Martens choisit de donner la voix à des femmes oubliées. Pour lui, la danse qui a lieu sur scène est une rencontre entre cette histoire de la voix des femmes et le corps des danseur·euse·s dans leur individualité et leur intériorité.

Le spectacle prend alors plusieurs dimensions. Subjective d’abord, et cela, Jan Martens l’assume : il se réfère à ses goûts, ses connaissances et ses envies. Universelle ensuite, car il y a malgré tout une unisson qui se crée au sein des individualités. Politique enfin, car sans entrer dans un théâtre éducatif cliché et moralisateur, le chorégraphe use du pouvoir émancipateur du théâtre – lieu qui « laisse entendre d’autres voix » – et de la danse – « le corps se fait porte-voix », comme le dit Amélie Rouert, professeure associée de la Comédie de Clermont-Ferrand. C’est une mémoire et un féminisme assumé que portent ces corps en s’inventant « sur le présent du plateau » (Amélie Rouert).

vn-f4a4622-c-klaartjelambrechts-web
vn-f4a5359-c-klaartjelambrechts-web
vn-f4a4585-c-Klaartje Lambrechts-web

Voice Noise de Jan Martens © Klaartje Lambrechts

Informations pratiques

VOICE NOISE de Jan Martens – GRIP

Chorégraphie 
Jan Martens

Interprétation 
Elisha Mercelina, Steven Michel, Courtney May Robertson, Mamadou Wagué, Loeka Willems, Sue-Yeon Youn

Création lumière Jan Fedinger
Création costumes Sofie Durnez
Scénographie Joris van Oosterwijk
Tous les mouvements sont créés par les danseurs
Production GRIP

Dates
Les 7 et 8 mars 2024 à la Comédie de Clermont-Ferrand
Du 21 au 23 mars 2024 à ANVERS (première mondiale)
Du 27 au 29 mars 2024 à la Maison de la danse LYON (première française)
Les 3 et 4 avril 2024 à la Comédie de Valence

Durée
1h40

Adresse
Comédie de Clermont-Ferrand, Scène Nationale
69, boulevard François-Mitterrand
63000 Clermont-Ferrand

Informations complémentaires

Comédie de Clermont-Ferrand, Scène Nationale
lacomediedeclermont.com

Jan Martens – GRIP
www.grip.house/en/maker/jan-martens