« XYNTHIA, L’ODYSSÉE DE L’EAU » du Collectif Io, un opéra poétique et politique

Xynthia, l’odyssée de l’eau du Collectif Io © Florent Mayolet

Avec Xynthia, l’odyssée de l’eau, le Collectif Io relève le défi ambitieux de créer un opéra aux multiples facettes, mêlant poésie et politique. Librement inspiré de la célèbre pièce Un Ennemi du peuple, cet opéra contemporain rend grâce au texte avant-gardiste d’Henrik Ibsen qui questionne déjà notre rapport à l’eau dès la fin du XIXème siècle. Dans cette œuvre visionnaire, un médecin découvre que les eaux de la station thermale de sa ville sont contaminées. Il se donne alors pour mission de prévenir le public, mais pour sauver l’économie de leur commune, la municipalité et les médias se liguent contre lui. Étouffé, menacé et calomnié, l’homme devient l’ennemi de la majorité. Xynthia, l’odyssée de l’eau crée un écho entre le texte poignant d’Ibsen et la tragédie de la Faute-sur-Mer, ville balnéaire de Vendée dévastée par la tempête Xynthia en février 2010. Ainsi se pose la question de la place de l’eau dans nos sociétés, à la fois moteur de l’économie touristique et force supérieure, voire divine, capable de détruire tout ce que l’Homme a construit.

Sur la vaste scène du théâtre Silvia Monfort, un paysage côtier se dessine. Des filets de pêche sont éparpillés çà et là, les pontons de bois installés nous feraient presque sentir l’air salin du littoral, et de part et d’autre, les musiciens nous transportent au bord de la mer avec des mélodies aux sonorités aquatiques et vaporeuses. On retrouve des instruments aussi étranges que poétiques, comme les ondes Martenot et le cristal Baschet, qui font tous deux références à l’eau : le premier rappelle les vibrations de la mer et le second nécessite d’humidifier ses doigts pour y jouer. Une harpe, deux clarinettes, un clavier Fender Rhodes, ainsi que des percussions augmentées d’un système électroacoustique viennent compléter l’ensemble instrumental composé par Thomas Nguyen. Les musiciens méritent d’être vivement salués pour avoir su évoquer, tout en harmonie, aussi bien la douce fluidité de l’eau que sa puissance dévastatrice.

La performance lyrique et théâtrale des quatre chanteurs est pleine d’expressivité. Elle nous fait découvrir ou redécouvrir le texte d’Ibsen en y apportant une dimension musicale percutante. Le docteur Tomas Stockmann, sa fille Petra, Aslaksen, Billing… tous ces personnages d’Un Ennemi du peuple trouvent leur voix dans les quatre tessitures des solistes. Un cinquième personnage, le marin Horster, est quant à lui incarné par un interprète aux rôles multiples. En effet, le danseur Sébastien Ly donne également vie à l’Eau dans une chorégraphie hypnotique et fluctuante. Drapé de lambeaux de filets de pêche, il évoque les vagues et le souffle salé du vent à travers ses pas de danse, tantôt calmes, tantôt vifs quand la tempête se lève. C’est tout en poésie que l’Eau s’impose sur le devant de la scène en personnage central, reliant le XIXème siècle d’Ibsen au XXIème lorsque la tempête Xynthia a frappé.

Xynthia, l’odyssée de l’eau est un spectacle d’une grande richesse qui explore différentes formes d’art pour soutenir un discours aussi bien politique que philosophique. En s’inspirant d’Un Ennemi du peuple d’Henrik Ibsen, le Collectif Io interroge la place de l’eau dans nos sociétés capitalistes, où trop souvent les bénéfices économiques l’emportent sur les risques sanitaires et environnementaux. Se pose également la question de la sécurité face aux catastrophes climatiques avec la tempête Xynthia : en effet, si la commune de La Faute-sur-Mer a été si tragiquement impactée (29 morts), c’est parce que des lotissements ont été construits dans des zones inondables, parfois même en dessous du niveau de la mer. La mise en scène de ce drame, habilement reliée à la pièce d’Ibsen, met fin au débat public d’Un Ennemi du peuple : l’Eau, déesse toute-puissante, ravage tout sur son passage sans distinction. Tous les Hommes subissent sa fureur, il n’y a alors plus de traître, plus de collectivité, plus de bourgeoisie. Finalement, c’est face à la puissance des éléments, qu’ils prennent le nom de Xynthia, de l’Eau ou de n’importe quelle autre entité divine, que nous sommes ramenés à notre humilité et à notre responsabilité envers la nature.

2022-12-13-Xynthia-générale-Opéra-de-Reims-5 © Florent Mayolet
2022-12-13-Xynthia-générale-Opéra-de-Reims-77 © Florent Mayolet
2022-12-13-Xynthia-générale-Opéra-de-Reims-35 © Florent Mayolet
2022-12-13-Xynthia-générale-Opéra-de-Reims-32 © Florent Mayolet

Xynthia, l’odyssée de l’eau du Collectif Io © Florent Mayolet

Informations pratiques

XYNTHIA, L’ODYSSÉE DE L’EAU – Création du Collectif Io

Auteur(s)
Opéra de Thomas Nguyen
Livret de Valentine Losseau
Librement inspiré d’Un Ennemi du peuple d’Henrik Ibsen (traduction par Éloi Recoing)

Mise en scène
Mikaël Serre

Direction musicale
Yann Molénat

Distribution
Emmanuelle Jakubek (Petra Stockmann, soprano), Stéphanie Guérin, (Stockmann / Aslaksen, mezzo),
Fabien Hyon (Billing, ténor), Halidou Nombre (Tomas Stockmann, baryton),
Alix Riemer (La Messagère du Peuple, comédienne), Sébastien Ly (Horster, Artémis, l’Eau, danseur),
Thomas Bloch (Cristal Baschet, Ondes Martenot), Pauline Haas (harpe), Juliette Adam (clarinettes),
Pierre Tanguy (percussions et électroacoustique), Yann Molénat (direction musicale et Fender Rhodes)

Chorégraphie Kitsou Dubois
Assistante à la mise en scène Naïma Perlot-Lhuillier
Scénographie Charlotte Gautier Van Tour
Costumes Anaïs Heureaux
Chef de chant Jeanne Vallée
Création sonore Pierre Tanguy
Création lumière Jimmy Boury
Création vidéo Léa Troulard et Charlotte Gautier Van Tour et Cyrille Leclercq
Régisseur général Christian Ravelomaniraka
Régisseur son Samuel Allain
Production Agnès Prévost

Dates
Du 13 octobre au 22 octobre 2023 au Théâtre Silvia Monfort, Paris

Durée
1h35

Adresse
Théâtre Silvia Monfort
106, rue Brancion
75015 Paris

Informations complémentaires
Théâtre Silvia Monfort
www.lemonfort.fr