Ylajali est un texte contemporain et un objet poétique comme l’annonce la quatrième de couverture. Fruit de la rencontre entre deux écrivains norvégiens, le texte de la pièce de Jon Fosse s’est nourri de Faim de Knut Hamsen écrit en 1890. Ce roman populaire et emblématique, marquant des générations entières, narre les déboires d’un jeune homme en colère contre la misère qui l’affame et son environnement urbain. Jon Fosse extrait sa matière première de ce roman pour construire une odyssée intérieure où se reflètent les ombres de Beckett, Bernhard, Kafka ou Dostoïevski. Plus précisément, le poème de Jacques Prévert, Paroles, « La grasse matinée », nous parle de la même manière : « Il est terrible le petit bruit de l’œuf dur cassé sur un comptoir d’étain … ».
Qui est Ylajali ? Figure féminine ? Métaphore de la faim ?
Trois personnages sont apparemment à l’œuvre dans cette pièce. D’emblée, la couverture transportée par le jeune homme annonce ou dénonce son état d’homme en ce monde. Il s’agit d’un objet, emblème de la pauvreté errante, à la recherche d’un toit, eu et perdu, sans serrure toutefois donc déjà « insecure ». La répétition de la didascalie Silence assez bref sert le cœur du texte et serre celui du lecteur. Ainsi, nous sommes saisis par le passage où le jeune homme remet son manteau sans le gilet fraîchement vendu au vieil homme qui enlève sa veste pour mettre le gilet acheté et dont les sous sont redonnés au vieil homme pour qu’il mange, le jeune homme étant lui-même affamé.
Le troisième personnage remet en scène la recherche du lien humain où on ment à l’autre comme on se ment pour conserver une dignité vacillante mais qui fait tenir debout malgré la faim qui tenaille les entrailles et l’angoisse du soir sans toit. Dans ce contexte, très vite, le jeune homme témoigne d’une pensée qui circule autour de la faim et d’un chez soi rêvé. Aussi, la structure du texte laisse transparaître l’aspect circulaire de la pensée d’un homme, sans domicile, qui a faim. Les répliques s’organisent dans un système de répétitions qui relèvent de l’auto-persuasion d’une vérité qu’on aimerait dénier. Le lecteur perçoit également très bien les sensations de froid, de faim, les sons urbains, les lamentations, le bourdonnement. Les couleurs sont celles de l’automne, saison qui annonce l’hiver avec ses premiers froids surtout la nuit qui devient terrible et cruelle, surtout sans compagnie.
Un nouveau mot, « Kuboa », vient distraire de la réalité, un homme dont la pensée est en boucle, quelque chose de plus spirituel que les sensations de faim et froid, un sentiment, un état d’âme peut-être. Mais le besoin humain se fait aussitôt ressentir à travers Ylajali pour faire tenir un homme chancelant, la chaleur montant à sa tête, les palpitations dans les tempes. La folie n’est pas loin. L’individu se griffe et s’automutile tant sa situation est insupportable. Le texte est lancinant comme cette faim qui tord le ventre et l’angoisse de ne pas avoir de toit qui tord le cerveau. L’absence de l’assouvissement de ces besoins fondamentaux entraîne des hallucinations proches de celles de « la petite fille aux allumettes », poignant conte d’Andersen. D’ailleurs, tout est en feu et les rongeurs sont menaçants. Voûté, boiteux, perdant ses cheveux, le jeune homme s’éclipse pour laisser place à un vieillard prématuré par pauvreté et isolement.
La création française de Ylajali s’est jouée le 16 mai 2013 à L’Apostrophe, théâtre des Arts à Cergy, dans une mise en scène de Gabriel Dufay.
Informations pratiques
Auteur(s)
Jon Fosse
Prix
14 euros
L’Arche Éditeur
www.arche-editeur.com