« UN SACRE » de Guillaume Poix, Qu’en est-il de nos morts ?

C’est la question à laquelle cherche à répondre le texte de Guillaume Poix : UN SACRE paru aux éditions théâtrales et créé le 28 septembre 2021 à la Comédie de Valence. Mise en scène Lorraine de Sagazan, chorégraphie Sylvie Lamotte.

Le point de départ, ce sont des conversations avec toutes sortes de gens qui, bien qu’on ne les ait pas sollicités spécifiquement sur ce sujet, en sont tous venus à évoquer leur rapport à la mort, leur rapport à leurs morts, leur rapport aussi à leur mort. Ensuite, bien sûr, il s’est agi de faire une sélection puis d’imaginer une mise en corps.
Guillaume Poix orchestre donc ces témoignages en prenant grand soin de conserver le langage et surtout les émotions de chacun des protagonistes. Ce sont donc neuf prises de parole, celles de : Renata, Kali, Thomas, Georges, Asma, Mathias, Zahia, Léa, L10-3. Des origines différentes, des cultures différentes, des vécus variés, ces neuf personnes se racontent, évoquent un souvenir précis, s’adressent à nous, la leur proche disparu, à la société tout entière…

Renata par exemple, est corse, de cette Corse profonde qui a perdu sa dernière pleureuse il n’y a pas si longtemps. Un milieu très catholique, mais qui ne craint pas de flirter avec ce que d’aucuns nomment les superstitions. Ce que Renata nous montre, c’est l’importance du rituel, quel qu’il soit, car le rituel console. Par exemple, le fait de placer une fine bougie entre les doigts du mort de façon à ce que la cire en coulant, scelle les mains jointes. Et quand le Lollu disparaît en mer et qu’on n’a pas de mains à joindre et à sceller, eh bien, il faut juste redevenir l’antique pleureuse, juste le temps d’une cérémonie sur le port.

Pour Kali, c’est la mort d’une jeune Oria dont elle ne parlait pas la langue mais qui avait de si beaux yeux, malgré la souffrance et la chimio…

Pour Thomas, c’est cet homme qui s’est jeté à l’eau tout habillé pour le sauver, lui de la noyade et qui en est mort. Ce genre d’événement ne s’oublie pas, surtout que le sauveteur venait de recevoir une greffe du cœur. Ce cœur prélevé sur un jeune homme et qui lui a permis de sauver un enfant et d’en mourir.

Georges, lui, est atteint d’Alzheimer précoce et doit se hâter d’emmener sa mère en Suisse parce qu’en France, ce n’est pas possible de mourir dignement. Puis il devra encore se dépêcher pour lui-même, car s’il n’a plus toute sa tête, alors, il ne pourra pas bénéficier du dispositif.

Asma, elle, évoque les rêves prémonitoires faits par son père, puis par elle-même. Elle ne sait pas ce qu’il faut croire, si la mort est une fin ou s’il y a quelque chose après…

Et Mathias nous parle depuis la prison où il attendra encore longtemps la mort avec le remords d’avoir percuté la Pulsar de Léos sur l’A13 et de s’être énervé quand celui-ci lui est tombé dessus…

Et Zahia en a gros sur le cœur à cause de son père qui la surveillait sans cesse, qui aurait voulu la voir enfermée et auquel elle a pu échapper pour devenir qui sait, une actrice. Zahia s’interroge sur ce mot galvaudé « résilience » elle ne veut pas pardonner ; d’ailleurs, son père ne demande pas pardon. Elle s’affirme : je suis vivante, je ne veux plus qu’on me vole ma vie.

Et Léa qui, comme beaucoup d’autres, en 2020 n’a pas pu accompagner son père car on ne pouvait pas entrer dans les EHPAD…

Et L10-3 le plus tragique, le plus démuni, qui meurt anonymement et séjournera brièvement dans un caveau autonome, à l’emplacement L10-3 puis disparaîtra pour laisser la place à un autre malheureux anonyme…

Ce texte est très fort, il questionne chacun de nous, puisque nous sommes tous mortels et que tous, nous sommes un jour ou l’autre confrontés au départ d’un être aimé. La sélection des récits, très judicieuse, expose un large éventail de situations possibles, et partant, de questions éternelles et tellement humaines. On peut voir sur le Net, des extraits de la pièce et c’est encore plus fort parce que la mise en scène et la chorégraphie évitent le pathos tout en maintenant le questionnement. Remarquable !

Le volume comporte également un deuxième texte La Vie Invisible de Guillaume Poix dont une critique paraîtra prochainement sur le site (cf critique Théâtre Actu La Vie Invisible)..

Informations pratiques

Auteur(s)
Guillaume Poix

Prix
15,50 euros

Éditions Théâtrales
www.editionstheatrales.fr